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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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tâter. »
    Le voilà parti. Il entre dans la gare de Grenoble « comme dans un moulin ». Il montre son livret militaire à l’employé à casquette. Celui-ci, « avec une moue ressemblant à un sourire, indique l’heure du train et le numéro du quai ». Honoré doit rejoindre le 9 e de hussards à Chambéry. Il arrive au quartier Saint-Ruth, dans la cohue. Le voyage n’était pas long. Mais l’accueil, des plus sommaires. Il prend le parti de se réfugier du côté des chevaux, en attendant son tour d’incorporation [13] . Les délais sont longs pour obtenir un uniforme au magasin des équipements. Autant patienter.
    *
    Les chevaux n’attendent pas. Ils sont le nerf de la guerre. Sans eux, pas d’artillerie, ni de ravitaillement en munitions. Il faut saisir tout de suite le troupeau national, et l’équiper de selles et de harnais à la va-vite, selon les besoins exprimés par l’état-major.
    Dans les campagnes, les réquisitions vont bon train. L’armée est seulement équipée pour fournir en remonte la cavalerie du temps de paix. Le gonflement subit des effectifs arrache aux écuries des fermes six cent mille chevaux en quelques jours, sans compter les mulets et les ânes. Il faut prévoir des trains supplémentaires pour fournir d’abord les chevaux aux attelages d’artillerie hippomobiles et l’armée ne compte pas moins de soixante-deux régiments d’artillerie de campagne, recrutés dans toute la France, en dehors des dix régiments basés en Afrique du Nord dont une partie est déjà embarquée pour la métropole.
    À Lannion, les chevaux sont parqués sur le quai d’Aiguillon, dans l’enceinte d’un bal champêtre. Un gendarme les appelle l’un après l’autre, par leur numéro d’inscription. Ils ont l’habitude du cheval et sont rodés aux remontes. Leur présence signifie que les besoins de l’armée doivent être couverts sans aucune considération autre que la défense. Il n’est pas question pour les paysans de ruser.
    Les animaux sont d’abord confiés aux équipes de vétérinaires qui les examinent aussitôt très sommairement. Les invalides, les pouliches sont écartés. On peint au balai un matricule sur l’épaule des bons pour le service. On estampille au fer rouge la corne d’un des sabots du cheval engagé. Les montures sont ensuite acheminées, en un très long cortège, vers Guingamp et Fougères, où elles seront embarquées.
    Elles sont de tout poil, de tout âge, de cinq à quinze ans. Des cavaliers les montent quelquefois à cru, le plus souvent des valets d’écurie les tirent à la longe. Le seul arrondissement de Lannion en fournit sept cents. Après la guerre, sur la quantité, un seul devait revenir au pays, une jument devenue aveugle.
    Quel propriétaire de chevaux songerait à protester? Ils proposent parfois leurs meilleures montures aux officiers, dans un élan patriotique. Les intérêts particuliers des gens de l’arrière ne sont pas alors pris en compte par les autorités. Seule l’immense marée des hommes et des chevaux retient leur attention. Que l’arrière se débrouille comme il peut.
    Charles Le Goffic explique qu’à Lannion le chômage était général. On prenait des mesures d’urgence pour distribuer du pain à la population. Les gens enlevaient d’assaut les provisions dans les épiceries. Les territoriaux gardaient déjà les voies de chemin de fer. Impossible à un civil de prendre au guichet un billet de train. Une automobile avait reçu des coups de semonce pour n’avoir pas stoppé à cinquante mètres du rail.
    La France est brutalement privée de plus de trois millions et demi d’actifs, sans que personne ne puisse savoir avant longtemps ce qu’il adviendra de ces hommes. L’information est presque totalement tenue à l’écart de la masse des armées qui deviennent autonomes, fermées, impénétrables, pour des raisons de secret militaire, mais d’abord par la désorganisation de la presse qui n’a plus de messageries, ni de journalistes. Le combattant est, avant même l’heure du combat, coupé de ses origines par un épais brouillard de silence.
    Le télégraphe, dans les régions rurales, est le seul lien qui reste avec l’actualité. Après la mobilisation, le courrier n’arrive plus. Les villes qui ne sont pas des étapes de lignes de chemin de fer direct ne reçoivent pas de journaux. Les habitants de Lannion, en Bretagne, sont absolument sans nouvelles de leurs enfants partis au front. Ils

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