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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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qui l’a mélangé avec de la verveine, de l’amourette et
de la livèche ; et cette Fériennes a prononcé la formule de
conjuration ; elle a déposé le mélange sur une brique neuve, et l’a brûlé
avec du bois de frêne pour obtenir la poudre que je vous apporte. Il n’est plus
maintenant qu’à mettre cette poudre dans une boisson, la faire avaler au comte
de Poitiers, et avant peu vous le verrez repris d’amour pour son épouse… avec
une force que rien ne pourrait entraver. Doit-il toujours venir vous visiter ce
matin ?
    — Je l’attends. Il est rentré
de l’ost hier soir, et je l’ai prié de passer me voir.
    — Alors, je vais aussitôt mêler
le philtre à de l’hypocras… que vous lui offrirez à boire. L’hypocras, qui est
chargé en épices et sombre de couleur, dissimulera bien la poudre. Mais je vous
conseille, Madame… de vous remettre au lit et de feindre d’être malade, pour
avoir prétexte à ne pas boire vous-même ; car il ne faudrait pas que vous
alliez absorber ce breuvage… et vous trouver prise d’amour pour Madame votre
fille.
    — C’est en tout cas une bonne
idée que de le recevoir couchée, répondit la comtesse d’Artois, et de me
prétendre en mauvais point. On peut dire les choses plus droitement.
    Elle fit enlever la table, demanda
une robe de nuit et se remit au lit. Puis elle appela auprès d’elle son
chancelier Thierry d’Hirson, ainsi que son cousin germain Henri de Sully, qui
logeait chez elle, et elle travailla en leur compagnie aux affaires de son
comté.
    Un peu plus tard, on annonça le
comte de Poitiers. Il entra, vêtu de sombre comme à l’ordinaire, ses jambes de
héron chaussées de bottes souples, et la tête, sous le chaperon à crête, un peu
penchée au bout de son long corps.
    — Ah ! Mon beau
fils ! s’écria Mahaut comme si elle avait vu apparaître le Sauveur. Que je
suis aise de votre venue. Savez-vous à quoi je m’occupais ? Je me faisais
lire l’état de mes biens pour dicter mes volontés dernières. J’ai souffert la plus
mauvaise nuit du monde, toute torturée aux entrailles par l’angoisse de la
mort, et j’avais grand-crainte de passer outre sans vous avoir ouvert ma
pensée, pour ce que je vous aime, en dépit de tout, d’un cœur de mère.
    Afin de conjurer les mensonges
qu’elle venait de proférer, elle tira le petit reliquaire en forme de médaillon
qu’elle portait sur la poitrine, au bout d’une chaîne d’or, et le baisa
dévotement.
    — Que saint Druon me protège [11] ,
dit-elle en régissant le médaillon dans son vaste corsage.
    Bien installée parmi ses coussins de
brocart, les joues rebondies et colorées, l’épaule large, le bras charnu,
Mahaut offrait les signes d’une robuste santé. Tout au plus aurait-elle eu
besoin, peut-être, de se faire tirer une ou deux pintes de sang.
    « Allons, elle va me donner la
comédie, pensa Philippe de Poitiers. De nature comme d’apparence, elle
ressemble trait pour trait à Robert. Ils se haïssent d’être trop pareils. Je
gagerais qu’elle va me parler de lui. »
    Il ne se trompait pas. Mahaut se mit
aussitôt à vitupérer ce mauvais neveu, ses manœuvres, ses intrigues, et la
ligue qu’il animait contre elle. Pour Mahaut comme pour Robert, toutes les
affaires du monde passaient par le comte d’Artois qu’ils se disputaient depuis
treize ans. Leurs pensées, leurs démarches, leurs amitiés, leurs alliances,
leurs amours même, se rattachaient toujours de quelque façon à cette lutte,
l’un n’entrait dans un clan que parce que l’autre appartenait au clan adverse,
Robert ne soutenait une ordonnance royale que parce que Mahaut la désapprouvait,
Mahaut était d’avance hostile à Clémence de Hongrie parce que Robert avait donné
appui au mariage. Cette haine qui excluait tout accord, toute transaction,
dépassait son objet, et l’on pouvait se demander s’il n’y avait pas entre la
géante et le géant une sorte de passion à rebours, inconnue d’eux-mêmes, et qui
se fût mieux apaisée dans l’inceste que dans la guerre.
    — Toutes ses méchancetés
avancent mon trépas, dit Mahaut. J’ai su que mes vassaux, assemblés par Robert,
ont prononcé serment contre moi. C’est cela qui m’a remué les humeurs et mise
dans l’état où je suis.
    — Ils ont juré ma mort,
Monseigneur, dit Thierry d’Hirson.
    Philippe de Poitiers se tourna vers
le chanoine-chancelier et vit que c’était lui, et non Mahaut, qui était

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