Les Poisons de la couronne
malade,
de peur.
— J’allais monter à l’ost, pour
remettre de l’ordre dans ma bannière, reprit Mahaut, j’avais fait sortir, comme
vous voyez, mes atours de guerre.
Elle désigna, vers un coin de la
pièce, un imposant mannequin revêtu d’une longue robe en mailles d’acier et
d’une cotte de soie brodée aux armes d’Artois ; à côté étaient préparés le
heaume et les gantelets.
Mahaut soupira. Elle regrettait
l’occasion perdue. Elle aimait bien se vêtir en chevalier, comme un homme.
— Et puis j’ai appris la fin de
cette glorieuse chevauchée qui coûte au royaume l’argent et l’honneur.
Ah ! L’on peut dire que votre pauvre frère n’est guère fortuné, et que
tout ce qu’il entreprend va à la traverse. En vérité, je vous le dis comme je
le crois, vous auriez fait un bien meilleur roi que lui, et c’est grande pitié
pour tous, mon beau fils, que vous soyez né le second. Votre père, que Dieu
l’ait en grâce, en soupirait souvent.
Depuis le scandale de la tour de
Nesle et la détention de Jeanne à Dourdan, le comte de Poitiers n’avait revu sa
belle-mère que dans les cérémonies publiques, lors des funérailles de Philippe
le Bel par exemple, ou bien aux séances de la Chambre des pairs, mais jamais en
privé. Ils se marquaient de la froideur. Pour une reprise de contact,
l’ouverture était grosse, Mahaut, dans le compliment, ne prenait pas la petite
mesure. Elle invita son gendre à s’asseoir plus près de son lit. Hirson et
Sully se retirèrent vers la porte.
— Mais non, mes bons amis, vous
n’êtes point de trop, vous savez bien que je n’ai pas de secrets pour vous,
leur dit-elle.
En même temps, elle leur faisait
signe, d’un mouvement de doigts, de sortir de la pièce. Or il était peu
habituel, chez les grands seigneurs, de recevoir un visiteur tête à tête. Leurs
appartements étaient constamment occupés ou traversés par des parents, des
familiers, des vassaux, des serviteurs. Les entretiens se déroulaient
généralement au vu de tous, ou, au moins, en présence d’un gentilhomme de la
chambre ou d’une dame de parage. D’où la nécessite de l’allusion, du demi-mot.
Lorsque les deux interlocuteurs principaux se retiraient dans une embrasure de
fenêtre pour converser à voix basse, les gens de leur suite affectaient le
détachement, mais se sentaient facilement ou vexés ou inquiets. Tout entretien
à portes closes prenait une allure de complot. Et c’était bien l’allure que
Mahaut voulait donner à son entretien avec le comte de Poitiers, ne fût-ce que
pour le compromettre un peu et le faire mieux entrer dans son jeu.
Aussitôt qu’ils furent seuls, elle
lui demanda :
— Quels sont vos sentiments
pour ma fille Jeanne ?
Comme il hésitait à répondre, elle
entama sa plaidoirie. Certes, Jeanne de Bourgogne avait eu des torts, de grands
torts même, en n’avertissant pas son mari des intrigues d’alcôve qui
déshonoraient la maison royale, et en se faisant complice… volontairement,
involontairement, qui pouvait le dire ?… du scandale. Mais elle-même
n’avait point péché de corps, ni trahi le mariage ; tout le monde le
reconnaissait ; et le roi Philippe, lui-même, pourtant si courroucé, en
était convenu, puisqu’il avait assigné à Jeanne une résidence particulière,
sans jamais signifier que cette réclusion fût à vie…
— Je sais, j’étais au conseil
de Maubuisson, dit le comte de Poitiers qui souhaitait couper à ces souvenirs
amers.
— Et comment Jeanne aurait-elle
pu vous trahir, Philippe ? Elle vous aime. Elle n’aime que vous. Qu’il
vous suffise de vous rappeler ses cris, lorsqu’on l’emmena dans son chariot
noir : « Dites à Monseigneur Philippe que je suis
innocente ! » J’en ai encore le cœur fendu, moi, sa mère, d’avoir dû
assister à cela. Et depuis quinze mois que la voilà à Dourdan, je le sais par
son confesseur, jamais un mot contre vous, rien que paroles d’amour, et des
prières à Dieu pour regagner votre cœur. Je vous assure que vous avez là une femme
plus fidèle, plus dévouée que beaucoup, et qui a été durement châtiée.
Elle rejetait toutes les fautes,
toutes les culpabilités sur Marguerite de Bourgogne, et cela avec d’autant plus
de tranquillité que Marguerite, premièrement, n’appartenait pas à sa proche
famille et, secondement, n’existait plus. C’était Marguerite la pécheresse, la
dévergondée, la catin ; c’était
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