Les Poisons de la couronne
Marguerite qui avait entraîné Blanche,
pauvre enfant inconsciente, qui avait abusé l’amitié de Jeanne… D’ailleurs, à
Marguerite elle-même ne devait-on pas concéder quelques excuses ? L’espoir
d’être reine de Navarre ne suffit pas à tout, et quelle femme ne se fût
attristée du mari qu’on lui avait donné ! En définitive, Mahaut tenait le
Hutin pour le premier responsable de son infortune.
— Il paraît que votre frère
n’est pas très bien membré…
— On m’a toujours assuré, au
contraire, qu’il était normal de ce côté-là, encore qu’un peu effarouché ou
violent sur la chose… mais nullement empêché, répondit le comte de Poitiers.
— Vous n’avez point, comme moi,
les confidences des femmes, répliqua Mahaut.
Elle se redressa, massive, sur ses
oreillers, regarda son gendre droit dans les yeux.
— Philippe, parlons clair,
dit-elle. Croyez-vous que l’héritière, la petite Jeanne de Navarre, soit de lui
ou du galant de Marguerite ?
Philippe de Poitiers se frotta un
instant le menton.
— Mon oncle Charles de Valois
affirme qu’elle est bâtarde, répondit-il, et Louis lui-même, par la façon qu’il
a d’éloigner cette enfant, semble le confirmer. D’autres, comme mon oncle d’Évreux
ou, bien sûr, le duc de Bourgogne, la tiennent pour légitime.
— S’il arrivait malheur à
Louis, qui n’est pas bien fort de santé, vous êtes dans le moment le second en
ligne de succession. Mais si la petite Jeanne est déclarée bâtarde, comme nous
pouvons penser qu’elle l’est, alors vous devenez le premier, et c’est à vous
d’être roi. Vous êtes fait pour régner, Philippe.
— La nouvelle épouse qui lui
arrive de Naples fournira peut-être à mon frère un héritier.
— S’il est capable de procréer.
Ou si Dieu lui en laisse le temps…, dit Mahaut en appuyant bien sur ces
derniers mots.
À ce moment, Béatrice d’Hirson
entra, portant un plateau chargé d’une aiguière ciselée, de gobelets de vermeil
et d’une coupe emplie de dragées. Mahaut eut un mouvement d’impatience.
L’interruption était vraiment peu opportune ! Mais sans se troubler, ni se
hâter, la demoiselle de parage emplit les gobelets, et présenta au comte de
Poitiers hypocras et dragées. Mahaut étendit machinalement la main vers un
gobelet Béatrice la regarda de telle façon qu’elle se reprit, disant.
— Non, je suis trop malade,
tout me tourne sur le cœur.
Poitiers réfléchissait. Il n’avait
pas manqué lui-même durant les mois récents, de penser à l’éventualité de la
succession. En clair, Mahaut lui proposait alliance et soutien, pour le cas où
Louis X viendrait à disparaître.
Béatrice d’Hirson était ressortie.
— Ah ! Philippe, sauvez ma
fille Jeanne de la mort, je vous en conjure, s’écria soudain Mahaut,
pathétique. Elle n’a point mérité tel sort.
— Mais qui donc la
menace ? demanda Poitiers.
— Robert, toujours lui !
répondit-elle. J’ai appris qu’il était de connivence avec votre sœur Isabelle
pour machiner la perte de mes filles et de Marguerite. Et j’ai vu ce grand
gueux, à la place où vous êtes, venir m’annoncer lui-même mon malheur, la mine
tout apitoyée. Et moi je l’ai cru sincère. Il se pourléchait, le putois. Mais
cela ne lui portera pas bonheur, comme cela n’a pas porté bonheur à Isabelle.
Son mari a reperdu l’Ecosse, et continue de se vautrer dans le vice avec des
portefaix.
Elle s’arrêta un instant, parce que
Poitiers approchait le gobelet de ses yeux myopes pour en examiner la ciselure.
Puis elle enchaîna.
— Mais mon Satan de Robert a
fait mieux depuis. Savez-vous que le jour où Marguerite fut trouvée morte,
Robert était entré à Château-Gaillard au petit matin ?
— Vraiment ? dit Poitiers
sans montrer une surprise extrême.
Il avait, lui aussi, ses
informations. Il but une gorgée et parut apprécier le breuvage.
— Blanche, enfermée dans la
même tour, a tout entendu. La pauvre enfant, depuis, est comme folle. Elle m’a
fait parvenir l’autre jour un message… Entendez-moi, Philippe, il va les tuer
l’une après l’autre. Son jeu est clair. Robert à présent peut agir à sa guise
et tout obtenir du roi ; ils sont complices du même meurtre. Il suffit que
Robert parle pour que Louis approuve. Maintenant, il va s’attaquer à ma
descendance. Je suis seule, veuve, avec un fils trop jeune encore pour qu’il me
puisse fournir appui, et pour
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