Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
la vie duquel je tremble autant que pour la vie
de mes filles. Tant de douleurs et de craintes ne peuvent-elles pas faire
mourir une femme avant l’âge ?
    À nouveau, elle toucha sa relique
pectorale.
    — Dieu m’est témoin que je ne
voudrais pas trépasser en laissant mes enfants livrés à ce chacal. De grâce,
reprenez votre épouse auprès de vous pour la protéger, et montrez du même coup
que je ne suis point sans allié. Car, s’il arrivait que Jeanne fût enlevée à la
vie, ou bien restât recluse, et que l’Artois me fût ôté comme si fort on s’y emploie,
alors je serais obligée de demander retour, pour mon fils, du palatinat de
Bourgogne, qui était la dot de Jeanne.
    Poitiers ne put qu’admirer l’adresse
avec laquelle sa belle-mère avait planté sa dernière lance. Ainsi le marché
était nettement proposé : « Ou bien vous reprenez Jeanne, et je vous
pousse au trône s’il devient vacant, afin que ma fille soit reine de
France ; ou bien vous refusez la réconciliation conjugale, mais alors je
renverse mes positions et négocie la reprise du comté de Bourgogne contre
l’abandon de l’Artois. »
    Or la Bourgogne-comté constituait
non seulement une immense possession, mais aussi, par sa situation de
palatinat, un possible accès à la couronne élective de l’empire d’Allemagne.
    Poitiers contempla un instant
Mahaut, monumentale sous les grandes courtines de brocart drapées autour de son
lit.
    « Elle est fourbe comme le
renard, obstinée comme le sanglier ; elle a sans doute du sang sur les
mains, mais je ne pourrai jamais me défendre d’avoir pour elle de l’amitié…
Dans sa violence comme dans son mensonge, il y a toujours une pointe de
naïveté…»
    Pour cacher le sourire qui lui
venait aux lèvres, il but au gobelet de vermeil.
    Il ne promit rien, ne conclut rien,
car il était de nature réfléchie, et ne considérait pas qu’il y eût urgence à
décider. Mais, à tout le moins, il voyait déjà le moyen de contrebalancer au
Conseil des pairs l’influence de Valois, qu’il tenait pour funeste. Il but une
dernière gorgée et dit :
    — Nous parlerons de tout ceci
au sacre, où nous allons nous revoir promptement, ma mère.
    Et par ce « ma mère »
qu’il employait pour la première fois depuis quinze mois, Mahaut comprit
qu’elle avait gagné.
    Aussitôt après le départ de
Philippe, Béatrice entra et examina le gobelet.
    — Il l’a vidé presque jusqu’au
fond, dit-elle avec satisfaction. Vous verrez, Madame… que Monseigneur de
Poitiers va bientôt aller à Dourdan.
    — Je vois surtout, répondit
Mahaut, qu’il nous ferait un fort bon roi… si nous perdions le nôtre.
     

VIII

UN MARIAGE DE CAMPAGNE
    Le mardi 13 août 1315, à l’aube
crevant, les habitants du petit bourg de Saint-Lyé en Champagne furent éveillés
par des cavalcades venant et du nord et du sud, par les routes de Sézanne et de
Troyes.
    D’abord les maîtres de l’hôtel du
roi arrivèrent au galop et s’engouffrèrent, avec toute une escorte d’écuyers,
de sommeliers et de valets, sous les voûtes du château. Puis apparut un grand
charroi de meubles et de vaisselle, sous la conduite des majordomes, argentiers
et tapissiers ; enfin s’avança, monté sur mules et chantant des cantiques,
tout le clergé de Troyes, suivi de près par les marchands italiens qui
desservaient habituellement les foires de Champagne. La cloche de l’église se
mit à sonner à la volée ; le roi allait tout à l’heure se marier à
Saint-Lyé.
    Alors, les paysans crièrent
« Noël », et les femmes coururent aux champs cueillir des fleurs afin
de faire des jonchées, comme pour le passage du saint sacrement, tandis que les
officiers de bouche se répandaient aux alentours, raflant œufs, viandes,
volaille et poissons de vivier en aussi grandes quantités qu’ils en pouvaient
trouver.
    Par chance, il avait cessé de
pleuvoir depuis la veille ; mais le temps restait lourd et gris ; la
chaleur du soleil, à défaut de ses rayons, perçait les nuages. Les gens du roi
s’essuyaient le front, et les villageois, regardant le ciel, annonçaient que
l’orage éclaterait avant la vesprée. Au château, on entendait taper les
menuisiers ; les cheminées des cuisines fumaient, et l’on déchargeait de
hautes charretées de paille qu’on épandait dans les salles pour y servir de
couche aux escortes.
    Saint-Lyé n’avait pas connu pareille
effervescence depuis le jour où Philippe

Weitere Kostenlose Bücher