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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Henry.
    — Suppurent les vicieuses... Ah, bon ! Allez, sors de ma chambre.
    — Non, non, je vous en prie, parrain, seul au sommet, on n’est pas bien, mais à
     deux, on sera heureux. Seuls dans l’horreur de nos nuits, à deux, on vaincra
     l’ennemi.
    — Ça suffit, Mathieu, tu as trop bu et tu ne sais plus ce que tu dis.
    L’apprenti poète sembla tout à coup dégrisé. Il se laissa tomber au bord du
     lit.
    — Parrain, moi… dans mes cauchemars, y a un feu… qui brûle vivant ma mère… pis
     y a tous ces enfants, ils ont le visage de mes frères ou de mes cousins… Ils
     sont attachés comme… comme des lièvres que ma tante Marie-Ange pleumait pour faire de la tourtière… je l’ai jamais dit à personne…
    — Mathieu, c’est épouvantable !
    — Presque toutes les nuits, ça revient tout le temps, depuis que je suis tout
     petit… je suis pas normal…
    Désolé, Henry tenta de faire entendre raison à Mathieu.
    — C’est à cause de l’incendie chez ton oncle Georges. Tu as dû être traumatisé.
     Mathieu, tu es normal…
    Comme un enfant, Mathieu sentit sa lèvre trembler. Les sanglots
     montèrent à sa gorge sans qu’il puisse les retenir… trop d’émotions en une seule
     soirée. Mathieu se jeta dans les bras de son parrain et se mit à pleurer. Henry,
     stupéfait, le consola doucement. Julianna lui avait glissé un mot sur la
     fragilité émotive de son fils, le mettant en garde contre sa sensibilité
     extrême. Elle lui avait demandé de garder Mathieu auprès de lui à Montréal,
     espérant que le changement serait salutaire pour lui. Henry avait accepté. En
     tant que parrain, c’était, selon lui, son devoir. Il revit le visage de son
     filleul, enfant, lorsqu’il avait appris la nouvelle du feu. Pauvre petit, il y a
     des drames dont on ne se remet jamais. Lui, c’était la guerre ; ces bombes, ces
     obus qui passent au-dessus de votre tête ; le bruit de la terre qui retombe en
     pluie meurtrière autour de vous ; la plainte des blessés, le silence des morts,
     déchiquetés devant vous ; ces yeux ouverts qui vous fixent ; ces doigts tordus,
     noircis, qui s’agitent une dernière fois dans la nuit ; un soldat, sifflant,
     tombant à genoux sous les balles et continuant d’égrener note après note son air
     joyeux jusqu’à son dernier souffle… Tout ce qui les gardait vivants dans ces
     tranchées d’Italie, c’était la lettre d’une personne chère qui voulait vous
     revoir. Pour Henry, cela avait été Julianna… Julianna, son premier amour…
     Chacune de ses lettres l’avait aidé à survivre. Il s’accrochait à chaque mot
     comme à une bouée de sauvetage. Sa voix d’encre l’empêchait d’abandonner, de
     baisser les bras, de moins bien se cacher dans une embuscade, de courir moins
     vite sous le tir des Allemands, de juste abaisser son fusil et souhaiter que la
     mort soit rapide. Julianna… Le souvenir de sa beauté l’avait empêché de basculer
     dans le monde des ténèbres où plus rien n’existe que la laideur et la haine.
     Pendant la guerre, il avait tant regretté de ne pas l’avoir épousée quand il en
     avait eu la chance. Il aurait aimé avoir un fils, un fils de Julianna. Ce soir,
     il consolait Mathieu… Ce garçon aurait pu être le sien… Ce soir, il avait dit
     oui à une autrefemme, une femme dont il était certainement un
     peu amoureux, mais qui venait en second choix, comme lorsque au restaurant, on
     vous dit que votre plat préféré n’est plus disponible. On choisit un autre mets
     qu’on aime bien. À chaque bouchée, on a malgré tout le regret de l’autre, de ce
     que cela aurait été si… Il posa une main réconfortante sur le dos de Mathieu.
     Les pleurs diminuaient.
    Mathieu ne comprit jamais pourquoi il avait osé ce geste. Un amalgame de bien
     des éléments probablement. La fatigue, l’alcool, la soirée de poésie, la chaleur
     humaine qui l’avait entouré, Roland qui s’était assis à ses côtés, lui avait mis
     une main affectueuse sur le genou, l’avait remontée sur sa cuisse, avec un
     sentiment d’appartenance... Mathieu avait répété la même familiarité envers son
     parrain. À travers le drap, il avait déposé sa main sur le genou d’Henry et
     l’avait laissée remonter un peu, en une lente caresse appuyée. Henry prit
     quelques secondes pour comprendre que ce qui se passait était loin d’être
     seulement un appui pour Mathieu. Choqué, il le

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