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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Yvette.
    — C’est tout ce que j’ai à te dire, ma fille.

    Mathieu aussi rentra tard ce soir-là. Mais son parrain ne l’attendait pas, il
     ne l’attendait jamais. Mathieu pouvait arriver à l’heure qu’il voulait. Il avait
     toute liberté. Il était fatigué de sa soirée, mais heureux. Les poètes s’étaient
     surpassés ce soir-là. Il sentait le tabac et l’alcool, et percevait encore la
     présence de Roland qui avait passé le plus clair de son temps à ses côtés, lui
     mettant une main sur le bras, le frôlant de sa cuisse… Ces furtifs contacts lui
     avaient apporté une chaleur insoupçonnée, un trouble inattendu. Mais ce qui
     avait été le plus euphorisant était qu’il s’était risqué à lire le texte d’une
     de ses chansons. Roland lui avait appris que cela était une forme de poésie. Au
     début de la soirée, Roland s’était avancé sur la minuscule scène où seul un
     tabouret était placé. De sa chaude voix, il avait lu des extraits de La clé
     du cœur. Puis il avait présenté Mathieu, l’invitant à venir réciter
     quelques vers à son tour. Timidement, ce dernier avait trouvé le courage d’aller
     rejoindre le poète sur la scène. Il n’avait pas l’emphase et le sens dramatique
     de la lecture à haute voix comme Roland, mais quand il lut son texte, la pudeur
     et la sensibilité qui y étaient contenues le rendirent émouvant. On l’avait
     applaudi chaleureusement. Les regards braqués sur lui avaient changé. Roland
     avait gardé sa main sur son épaule plus longtemps que nécessaire… On lui avait
     offert à boire et on avait trinqué à son talent.
    — Surveille-toi, Roland, ton jeune protégé va te détrôner.
    — Vous connaissez ce vieux refrain : on est si seul au sommet !Moi, je dis que Mathieu, s’il le veut ou le peut, viendra m’y retrouver et,
     sans hésiter, à deux, nous y serons heureux !
    Mathieu se dirigea vers sa chambre. Quelle belle soirée ! Légèrement ivre, il
     ralentit le pas. Il venait d’entendre un drôle de bruit provenant de la chambre
     d’Henry, en face de la sienne. Les bruits se firent plus forts. Son parrain
     devait probablement encore faire un cauchemar. Ils n’en avaient jamais discuté.
     Mais Mathieu savait pertinemment quel enfer pouvaient devenir des nuits
     cauchemardesques. Depuis qu’il était tout petit, ces ombres étaient son lot
     nocturne. Il hésita. Avant, il aurait passé son chemin jusqu’à sa chambre, mais
     ce soir, l’envie de réconforter son parrain fut la plus forte. S’il lui disait
     qu’il comprenait, s’il lui parlait de la poésie qui avait changé sa vie, qui
     était la clé du cœur des gens… Peut-être que son parrain irait mieux, comme lui
     depuis que Roland avait croisé sa route ? Son parrain combattait un ennemi. Il
     allait l’aider, avec ses nouvelles armes, à l’anéantir. Il se décida à aller
     dans la chambre d’Henry. Il ouvrit la porte et la laissa grande ouverte. La
     lumière de la lampe du corridor pénétra en un long rai qui s’étira jusque sur la
     silhouette du dormeur. Mathieu s’avança dans la pièce. Un instant, il étudia
     l’effroi du rêveur, imaginant son propre reflet tourmenté, comme s’il se
     regardait dans un miroir. À ce moment, sentant inconsciemment la présence de
     l’intrus, Henry se réveilla en sursaut.
    — Mathieu, qu’est-ce qui se passe ?
    Il alluma sa lampe de chevet.
    — Je rentrais pis je vous ai entendu gémir.
    Henry fit une drôle de mimique.
    — C’est rien, juste un mauvais rêve.
    Mathieu ne répondit pas. Après la soirée qu’il avait passée, il avait
     l’impression d’avoir accédé à un niveau supérieur de conscience. Dorénavant, il
     voulait baigner dans la vérité de la parole, transcendé par le sens des mots,
     leur essence poignante, leurportée enfin dévoilée. Mathieu prit
     une grande inspiration et se plaça au pied du lit. L’haleine alcoolisée du jeune
     homme frappa Henry de plein fouet. L’avocat eut un demi-sourire. Mathieu lui
     rappelait sa jeunesse.
    — Tu peux aller te coucher, dit-il avec indulgence.
    — Pas avant que je vous dise quelque chose de ben important.
    Mathieu se racla la gorge et entreprit sa tirade, cherchant les rimes au fur et
     à mesure.
    — Je pense que de la guerre, des blessures pernicieuses hantent vos nuits,
     rampent sous la terre, de votre esprit, et suppurent les vicieuses.
    L’incohérence des propos fit ricaner

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