Les porteuses d'espoir
repoussa brutalement. En sortant
du lit, il sentit la colère monter en lui. Respirant bruyamment, il se passa la
main dans les cheveux, essayant de se contenir. Peut-être avait-il imaginé ce
geste déplacé. Comment gérer la situation ? S’il se trompait ? Mathieu était en
pleurs et il y avait la couverture, peut-être… Un tel dégoût l’emplissait.
Pendant la guerre et après, quand on avait découvert l’horreur des camps de
concentration, on avait dénoncé haut et fort les atrocités faites aux Juifs. On
avait traqué et l’on traquait encore les criminels de guerre… Henry avait tué
des Allemands. La pensée pour ces Juifs l’avait aidé. Mais qu’Hitler ait mis
dans le même panier, ou devrait-il dire dans le même four crématoire, les Juifs
et les homosexuels, cela, on l’avait occulté. Pour la défense de ces derniers,
peu de voix s’étaient fait entendre, peu de larmes avaient coulé, au grand jour
en tout cas. Henry savait que cela existait, mais c’était contre nature, c’était
anormal… Était-ce ce que Mathieu avait voulu exprimer tout àl’heure en disant : je ne suis pas normal ? Non, il ne le voulait pas, ça ne
se pouvait pas, il ne le fallait pas.
Mal à l’aise, il se racla la gorge. Mathieu était resté sur le lit, une
expression tourmentée peinte sur son visage.
— Justement, Mathieu, je voulais te parler… Je… je ne peux plus te garder avec
moi… Il faut que… que tu t’en ailles… Je vais… je vais épouser Isabelle…
Comme un automate, Mathieu se leva. D’un air épuisé, à bout, il
marmonna :
— Mes félicitations.
Et il s’apprêta à quitter la chambre de son parrain. Henry le retint, du bout
des doigts, par la manche de sa veste.
— Suis mon conseil, Mathieu… Retourne chez tes parents, trouve-toi une jolie
jeune fille et marie-toi…
Pendant tout l’été, Julianna s’était creusé la tête. Elle devait trouver un
moyen de rapporter des sous à la maison. Après tout, elle avait été élevée par
sa marraine qui était une femme d’affaires. François-Xavier avait oublié qu’elle
avait grandi dans l’ombre de Léonie, qui gérait une boutique. Pourquoi ne
pourrait-elle faire pareil ? se disait Julianna. En secret, elle se mit à
échafauder des plans. Un peu plus loin de leur appartement, il y avait un local
à louer. Il serait parfait pour ouvrir une boutique de mode, une deuxième Belle du lac. Elle pourrait coudre ses propres créations. Mais elle
avait beau calculer, il lui aurait fallu confectionner au minimum vingt robes
par semaine. Si elle retranchait le prix du loyer, du tissu, du fil, il ne lui
en resterait même pas encore assez pour se verser un salaire. Et cela, c’était
si elle fixait un prix beaucoup plus élevé que les robes bon marché que l’on
pouvait se procurer maintenant dans les magasins de prêt-à-porter. Lamode changeait tellement vite. Elle pensa à seulement fabriquer
des chapeaux. Pas une femme digne de ce nom ne sortait tête nue. À Pâques, elles
étrennaient leurs nouveaux atours. Mais de là à Pâques, l’argent ne rentrerait
pas… Par contre, si elle se servait de son logement pour tout coudre… sans le
loyer d’un local… peut-être. Et si elle donnait des cours de piano à la place ?
Elle reprit son crayon et, minutieusement, estima le revenu possible de
professeur. Une leçon par heure, un enfant par leçon. Deux l’avant-midi, mais
non, les enfants allaient à l’école… Seulement le samedi alors, mais non, cela
ne fonctionnait pas non plus. Elle devrait peut-être se résoudre à prendre de
simples contrats de couture. Cela ne l’emballait pas. Déprimée, elle sortait
marcher tous les jours. Cela l’aidait à réfléchir. C’était plus fort qu’elle,
elle passait devant le local à louer et s’arrêtait quelques instants en
rêvassant devant une deuxième Belle du lac. Un midi, en s’approchant de
son objectif, elle se rendit compte qu’un homme était en train d’apposer une
affiche dans la vitrine du local, de son local. Elle pressa le pas. Oh non !
celui-ci était loué. L’affiche disait :
Mesdames
Prochainemant dans ce local
une boutique de prèt a porté
De tout pour vous
manteaux, robes, chapeaux
Désappointée, Julianna dit à l’homme qui terminait d’installer la
pancarte :
— Il y a des fautes. Prochainement prend un e à la fin et
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