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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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singulière ! À mille lieues de sa fille. Elle n’avait aucune manière, parlait et
     s’asseyait comme un homme, les jambes bien écartées. Elle était presque
     vulgaire, mais pas comme ces filles de joie que Pierreavait
     rencontrées à Montréal. Non… la mère d’Odile était un bûcheron en jupon. Les
     cheveux coupés court, corpulente, elle portait une chemise d’homme à carreaux et
     un pantalon rentré dans une paire de bottes. Malgré la canicule, sa chemise
     était boutonnée jusqu’au cou. De grands cernes de sueur auréolaient les
     emmanchures et dégageaient une odeur très forte. Ahuri, Pierre remarqua des
     poils sur son menton, de longs poils noirs. Au-dessus de sa lèvre supérieure,
     quelques-uns formaient l’ombre d’une moustache. Si ce n’avait été de l’immense
     paire de seins qui pendaient, on aurait pu la prendre pour le père de famille.
     Pierre sut plus tard que celui-ci était disparu dans la nature depuis belle
     lurette. Abandonnée avec sa fille unique, la femme s’était débrouillée. Dès
     l’âge de sept ans, Odile avait été placée comme pensionnaire dans un couvent de
     la région de Québec. Odile était une élève de charité. Les religieuses
     acceptaient d’en prendre quelques-unes gratuitement. Ces filles servaient plus
     de domestiques que d’élèves cependant. Au couvent, Odile n’avait pas eu droit
     aux divertissements, aux sorties et autres privilèges. Entre les messes et les
     cours, elle aidait au ménage du dortoir, des toilettes, de la cuisine. Odile
     n’était sortie de sa réclusion qu’à ses dix-neuf ans… Cette vie de couventine
     expliquait tout : la différence de langage entre la mère et la fille, la
     politesse et l’attitude effacée d’Odile, et la honte que celle-ci avait de sa
     mère, sentiment qu’elle ne parvenait pas à dissimuler totalement. Dès le premier
     jour, dans la cuisine d’une maison délabrée, un véritable taudis, Pierre avait
     été témoin de cette honte. Odile baissait les yeux devant les propos de sa
     mère.
    — Ma Odile a encore dû chialer. J’ai jamais vu une braillarde de même. Je sais
     pas ce qu’ils y ont fait dans ce couvent, mais ils me l’ont rendue pas de
     service.
    En terminant sa phrase, la femme se racla la gorge et de façon écœurante cracha
     le morceau de tabac qu’elle chiquait. Pierre essaya, en vain, de
     ne pas voir l’amas gluant aboutir dans le crachoir en métal. Il eut un
     haut-le-cœur. Il détourna les yeux du récipient que la femme rapprocha plus près
     de sa chaise, ayant manqué rater sa cible. Odile rentra la tête dans les
     épaules.
    — Comment va votre bras ? avait demandé Pierre pour briser ce silence
     gênant.
    De sa voix d’ange, elle avait répondu :
    — Il me fait presque plus mal. Je vais repasser votre chemise si vous
     voulez.
    Pierre avait refusé :
    — Non, non, mademoiselle… il fait assez chaud, elle était déjà toute
     fripée…
    — Regarde-moé la petite nature, s’exclama la mère d’Odile. Y fait pas chaud
     pantoute !
    Pierre ne releva pas la remarque. Il ne comprenait même pas comment la femme
     arrivait à survivre habillée comme en hiver. Timidement, Odile lui dit :
    — Bien, je vous la redonne d’abord. Merci encore, monsieur.
    Pierre lui offrit son plus beau sourire tandis qu’il se rhabillait.
    — C’était rien que normal. Je peux-tu vous demander un verre d’eau ? Je meurs
     de soif.
    — Je… je suis désolée, j’aurais dû y penser. Je vais vous préparer du thé
     glacé.
    Pendant que la jeune fille s’affairait, Pierre étudia la pièce. La maison ne
     comportait qu’un étage. La cuisine en était la pièce principale. Pas de salon,
     pas d’entrée. Seule une couverture pendue à un clou laissait deviner une autre
     pièce, une chambre sans doute. Sur le mur en face de la cuisinière à bois, un
     matelas était posé par terre. Un drap méticuleusement plié à son bout fit penser
     à Pierre que cela devait être l’endroit où dormait Odile. Quelle misère ! Sa
     mère aurait perdu connaissance devant un tel spectacle : des murs lambrissés
     recouverts d’une peinture jaunie etcraquelée, aucune commodité,
     un plancher en bois de grange, aux fentes larges et remplies de saletés…
     Soudain, par la porte arrière, surgit une autre femme qui s’immobilisa net à la
     vue de Pierre. Celui-ci devint livide.
    La femme, d’un certain âge, était détrempée.

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