Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
Vom Netzwerk:
pas à sa job d’usine, pis que je sois là ou pas
     doit pas lui faire un pli sur la différence. Bon, ben, faut que j’y aille, moé,
     si je veux pas rater mon rendez-vous avec les vieux pays !
    Elzéar avait fait un salut militaire avant de s’en retourner, sifflant un air
     joyeux. Pierre l’avait suivi des yeux.
    — Oublie-ça tout de suite, Pierre Rousseau, avait dit sa mère. Tu porteras
     jamais cet uniforme, prends-en ma parole. On a eu notre part de malheur. Ton
     cousin parle à travers son chapeau. Cette guerre a pas d’allure. Tout va être
     réglé avant qu’Elzéar ait eu le temps d’embarquer sur un bateau.
    Hélas ! c’était son cousin qui avait eu raison. Le conflit avait perduré et
     s’était même intensifié. Le Japon, ayant décidé d’attaquer par surprise la base
     navale américaine de Pearl Harbor, les États-Unis entrèrent aux côtés des Alliés
     dans cette Deuxième Guerre mondiale. Pierre vieillit et dut se résoudre à
     l’inévitable. Au printemps, il fêterait ses dix-huit ans et il risquait fort de
     recevoir, comme cadeau d’anniversaire, une lettre du gouvernementle forçant à s’enrôler. Il pesa le pour et le contre. Suivre l’exemple
     d’Elzéar et se retrouver de l’autre côté de l’Atlantique ou fuir la
     conscription… Pierre n’hésita pas longtemps. Il trouvait inacceptable que l’on
     oblige quelqu’un à prendre un fusil. Il n’avait pas peur d’aller se battre,
     contrairement à ce dont on l’accusait, lui et les autres. Comment se faisait-il
     que les autorités ne comprennent pas le gros bon sens ? Les Canadiens français
     avaient du courage au cœur. Ils n’étaient pas des poules mouillées, des peureux,
     des pea soup , des pissous … Mais risquer la mort pour le peuple qui
     les avait conquis, qui ne parlait pas leur langue maternelle, c’était beaucoup
     demander. Tant que c’était sur une base volontaire, cela allait, mais se faire
     forcer, c’était plus que ce que bien des gens pouvaient supporter. Pierre avait
     pris sa décision. Sous le faux nom de Joe Dubois, il fuirait la conscription,
     caché dans un chantier. Ce n’était pas par couardise que Pierre était monté à
     bord de ce train l’automne dernier. On ne traite pas un peuple comme des chiens.
     Il ne suffit pas de passer un collier et une laisse autour du cou d’un animal
     pour s’en croire le maître. Le respect eût été le plus fort des liens. À quoi
     s’attendaient tous ces Anglais qui leur lançaient des pierres ? Non, la décision
     d’échapper à l’enrôlement militaire n’était pas synonyme de lâcheté. Il fallait
     beaucoup de courage pour s’éloigner ainsi des siens… et être loin d’eux en cette
     veille de Noël. Le cœur gros, Pierre s’arrêta un instant à l’orée du bois. Il
     tourna le regard vers la construction en bois ronds qu’il venait de quitter. Par
     la fenêtre, des lampes à l’huile émettaient une douce lumière orangée. Il
     devinait l’ombre des hommes chahutant et s’apprêtant à fêter la naissance de
     Jésus. Il n’y avait pas de grandes réjouissances prévues. Aucun prêtre n’avait
     pu ou voulu se déplacer pour dire la messe de ce Noël 1943. Mais les hommes
     étaient bien décidés à souligner l’événement et se promettaient de boire à la
     santé du Sauveur dès minuit sonné. Pierre n’avait pu supporter plus longtemps le
     brouhaha du camp. Les gars étaienttellement surexcités par
     l’approche du réveillon que cela faisait plusieurs fois que leur contremaître
     les remettait à l’ordre. C’était peut-être le premier chantier que Pierre
     fréquentait, mais il n’était pas difficile de deviner que ce n’était pas le
     meilleur campement du monde. Les écarts de langage et les blasphèmes étaient
     monnaie courante. Des batailles éclataient pour des riens. Le contremaître avait
     beau les menacer de sanctions, les bûcherons n’en avaient cure. La plupart
     étaient sans doute de bons bougres, mais il suffisait d’une forte tête pour
     pourrir le climat. En cette sainte nuit, Pierre en avait eu plus qu’assez des
     grivoiseries et du comportement grossier des autres hommes. Leurs rires gras et
     leur joie agressaient Pierre. Dès la dernière bouchée du souper avalée, il
     s’était éclipsé pour se rendre à son repaire. Il se sentait seul. Il s’ennuyait
     des siens. Il entra dans la forêt. Une légère neige se mit à tomber. Il

Weitere Kostenlose Bücher