Les porteuses d'espoir
s’arrêta
de nouveau et leva son visage vers le ciel. Les yeux à demi fermés, il se laissa
taquiner par ces diablotins de flocons. Quelques téméraires vinrent le
chatouiller et se déposer sur ses joues et ses paupières, mais en sentant la
tristesse du jeune homme, les fanfarons, déçus, se transformaient en larmes.
Pierre respira profondément l’air froid du soir. La plupart des gens avaient
envie de danser quand une neige folle tourbillonnait autour d’eux. Lui, il
ressentait, au contraire, le besoin de rester immobile. Un profond mal intérieur
l’étreignait. C’était comme si ces petites étoiles de glace cherchaient le
chemin de son cœur afin de venir le geler. Il savait très bien que cet
engourdissement lui venait de cette nuit tragique quand, après avoir sauté par
la fenêtre de la maison enflammée, il s’était retrouvé, presque mort, dans la
neige, serrant sur son cœur le bébé emmailloté. Depuis ce temps, il détestait la
neige. Il reprit son chemin vers la grotte. Seul dans la forêt, Pierre se dit
qu’il était étrange d’en écouter le silence quand ses journées renvoyaient
l’écho des haches et des scies. Son fanal s’était éteint. Il ne prit pas la
peine de le rallumer. Lablancheur du sol était suffisante pour
le guider jusqu’à son refuge. À l’intérieur de la cavité, il mit sa lanterne de
côté. Il retira ses mitaines et tâta le rebord d’une anfractuosité. Sa main y
trouva facilement la chandelle et les allumettes. Il hésita avant d’allumer. La
pénombre l’entourait et cela lui convenait. Il n’avait qu’une envie, celle de se
laisser aller à pleurer. Depuis quatre mois qu’il vivait parmi ces hommes aux
bras d’acier, il se démenait pour cacher son désarroi, s’interdisant tout moment
de faiblesse. À l’abri des regards, la tentation était grande de brailler comme
un veau. Si Pierre s’était risqué à se lier d’amitié avec certains des
bûcherons, il se serait vite rendu compte que, sous des airs de brutes, la
plupart de ces hommes dissimulaient une détresse semblable à la sienne. Son
attitude sérieuse, son langage plus recherché, son refus de sacrer, ses heures
de loisir à s’isoler, à prier, à lire et relire son catéchisme, lui avaient fait
hériter du surnom de « Curé » par ses compagnons. Pierre ne s’offusquait pas
d’être rebaptisé ainsi. De toute manière, c’était vraiment ce à quoi il
aspirait : revêtir une soutane et propager la bonne nouvelle. Et puis, ici, tous
les hommes avaient un surnom, hérité soit d’un attribut physique : le Picoté, le
Chicot, le Poilu, ou par un tic, une manie : le Renifleux, le Gosseux, le
Faraud. Il y avait la gamme des petits : P’tit Joe, P’tit Poil, P’tit Blanc, et
leurs opposés : Gros Belley, Grand Jack, Gros Jambon. Pierre n’aimait guère ce
dernier. C’était lui le meneur de trouble. Gros Jambon n’avait qu’un but dans la
vie : écraser les autres, surtout le dénommé Picoté. Combien de fois Pierre
relisait-il des passages de son livre de prières, y puisant la patience que sa
future vocation lui imposait ? La décision d’entrer en religion avait germé au
début de son adolescence. Il avait arrêté l’école si jeune… Ensuite, la guerre
avait éclaté. Ce projet ne pouvait se réaliser. Il avait passé son adolescence à
essayer, tant bien que mal, d’être au service de Dieu. Il travaillait très fort
sur la ferme de Saint-Ambroise et était servant de messe au village.Avec son cher curé Duchaine, ils discutaient de religion, de la
vie, de la mort. La mort... Il l’avait vue de si près. Il l’avait combattue,
l’empêchant d’emmener la petite Hélène. La terrible faucheuse avait assez
festoyé cette nuit-là. Depuis ce temps, tout était devenu si fragile. Ce n’est
pas croyable, de quelle manière, du jour au lendemain, en l’espace d’une
explosion, d’un souffle des flammes, la vie bascule ! Jamais plus il n’avait
ressenti un moment de pure quiétude. Un de ces instants d’insouciance comme seul
un enfant peut en vivre, ne réalisant pas à quel point ces minutes sont
précieuses. Il n’avait plus jamais été ce petit garçon, allongé dans l’herbe
verte du mois de juillet, le visage en offrande au soleil brûlant, les paupières
lourdes, en une complète béatitude, se disant que pas un pouce carré de
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