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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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un
     air effrayant. Attention, Normandin, attache ta tuque, nous v’là !
    Au presbytère, le curé tremblait. Cette tradition, cette fête païenne, n’était
     qu’un prétexte pour s’échauffer les sangs. Il avait mis en garde ses paroissiens
     pourtant. On ne savait qui, la boisson aidant, profitait de cette mascarade pour
     venir semer le trouble dans le village. Il ferait pression sur ses supérieurs
     pour qu’on l’interdise à l’avenir. On interdisait la danse, la boisson, les jeux
     d’argent, alors pourquoi pas cette décadence ?
    Si la plupart des gens du village s’amusaient et servaient de
     bonne grâce un verre à ces joyeux lurons, quelques ménagères partageaient l’avis
     de leur curé et pestaient contre ces malotrus qui salissaient leur
     plancher.
    Les premières maisons qui recevaient la visite de ces hommes déguisés sortaient
     les verres et s’amusaient de ce divertissement, les maris sautant sur l’occasion
     de s’en mettre un ou deux derrière la cravate. Mais plus les verres
     s’ajoutaient, plus la bande devenait incontrôlable. La chicane prenait souvent.
     Au début, Pierre s’amusait bien et même Mathieu suivait sans trop se faire
     prier. Mais depuis deux jours, Pierre était légèrement souffrant. Il avait
     espéré que son mal de ventre disparaisse, se faisant une joie à l’idée de
     festoyer, mais la douleur ne cessait d’empirer depuis le matin. Ne voulant pas
     gâcher la journée de Mathieu qui, pour une fois, semblait s’amuser, il prit sur
     lui en se disant que s’il ne buvait pas ni ne mangeait, cela irait mieux. Ce
     n’était pas la première fois que ce genre de maux le prenait ! Il arrivait
     souvent, dans les chantiers surtout, que la nourriture ou l’eau ait été
     contaminée. Ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Il eut une pensée pour
     Chapeau. Il espéra que son jeune ami n’était pas souffrant lui aussi. Au
     chantier, Pierre lui avait offert la moitié de son repas. Avec son appétit
     coutumier, Chapeau avait tout dévoré, assis sur un rocher. Pierre avait repris
     le mouchoir dans lequel il avait enveloppé le pain et les cretons et avait souri
     à l’Indien. À sa grande surprise, Chapeau s’était relevé et lui avait fait un
     signe d’au revoir avant de s’enfoncer, sans plus un regard, dans la forêt. Son
     apparition avait été de courte durée ! Si c’était un morceau des cretons qui
     était avarié, le pauvre Chapeau était peut-être plié en deux, seul dans les
     bois ?
    — La Mi-Carême, la Mi-Carême !
    De maison en maison :
    — La Mi-Carême, la Mi-Carême !
    La tournée était bien avancée quand Pierre réalisa que le
     traîneau déchargeait les fêtards en face de la maison des Langevin.
    — La Mi-Carême, la Mi-Carême !
    Traînant de la patte, Pierre fermait le cortège et il sourit sous sa cagoule en
     reconnaissant madame Langevin. D’un air faussement désespéré, elle s’affairait à
     laisser entrer tout ce monde, affectant d’être désagréable, les laissant
     chahuter. Les uns se tiraient une chaise et s’affalaient, d’autres claquaient
     sur la table, quémandant à boire. Il entraperçut une autre femme qui sortait
     plusieurs tasses et verres d’une armoire. Mais les autres lui cachèrent
     rapidement la vue. La cuisine était pleine à craquer. Pierre avait du mal à ne
     pas se trahir. Mais il devait garder le silence, c’était le jeu. Madame Langevin
     essayait de reconnaître les participants.
    — Ah ! toi, t’es le fils Boudreault. Y a pas une autre paire de yeux croches
     comme les tiens.
    Démasqué, celui-ci pouffa de rire en retirant sa cagoule.
    Souffrant, Pierre s’adossa le dos contre le mur et s’accroupit à moitié.
    — Tenez, matante, je vas les servir, dit la jeune femme.
    — C’est ben gentil, Jeanne-Ida, de venir passer ton jour de congé chez
     nous.
    Pierre se redressa. Jeanne-Ida, la cousine de Mélanie ? Ce n’était pas
     possible !
    Pierre compta sur ses doigts les années entre le temps de la guerre et
     aujourd’hui. Il s’étira le cou et admira la femme. Comme Jeanne-Ida était
     jolie ! Il n’était pas préparé à l’apparition de cette jeune femme et encore
     moins à celle qui suivit. Venant de l’étage, Mélanie apparut, magnifique dans un
     tailleur de laine, élégante, portant sur un bras un manteau assorti ; ses
     longues jambes étaient habillées de bas de soie avec des bottillons bordés

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