Les porteuses d'espoir
droit à mon bonjour.
Mélanie s’exécuta et reçut le furtif baiser de René.
Pierre se demanda ce qui lui donnait le plus mal au cœur. Le mal étrange qui le
coupait en deux ou la vision de Mélanie étreinte par un autre homme.
Yvette vomit dans le lavabo blanc. Elle devait se rendre à l’évidence que ce
n’était pas passager comme elle l’avait espéré. Elle n’avait personne pour la
rassurer. Isabelle avait épousé Henry et avait quitté la pension. Quant à sa
tante Marie-Ange, c’était impensable… Et si c’était une maladie grave ? Une
grave indigestion ? Non, une indigestion ne dure pas toute une semaine, une
indigestion n’a pas lieu tous les matins lorsque vous ouvrez les yeux, une
indigestion ne vous rend pas somnolente. Chaque souper, elle devait quitter la
table et aller vomir. Sa tante allait soupçonner quelque chose… Elle avait vu sa
mère enceinte et c’est ce qu’elle était, enceinte, et Paul-André était le père.
Elle se crispa à la pensée de le lui annoncer. La demanderait-il enfin en
mariage ? Il le fallait… Elle l’espéra. Elle avait besoin de réfléchir.
Elle revint à la cuisine, affichant son air le plus naturel possible. Elle
était une actrice, non ?
— Ah, matante ! dit-elle avec enthousiasme, je vais devoir me sauver de la
vaisselle. J’avais complètement oublié une répétition d’urgence.
Marie-Ange déposa sa fourchette.
— T’as même pas fini ton assiette.
— Si je veux rentrer dans ma robe de scène, il faut que je fasse
attention.
— Elle est belle, ta robe ? demanda Hélène les yeux
brillants.
Yvette regarda la belle adolescente que devenait sa cousine. Elle était si
innocente, si pure…
— Très belle.
— C’est sûr, reprit Hélène, tu as le rôle principal cette année !
Hélène était en admiration devant Yvette. Elle l’aidait à apprendre ses textes.
Elle les connaissait par cœur. « Cher comte, il ne faut jamais sous-estimer la
déception d’une femme… » Jamais elle ne pourrait jouer au théâtre comme sa
cousine. Elle était si timide, beaucoup trop timide. À l’école, quand venait le
temps de parler devant sa classe, elle voulait mourir. Elle préférait admirer et
vénérer Yvette sans chercher à lui ressembler.
— Elle est de quelle couleur ? insista l’adolescente.
— Une longue robe chatoyante de satin rouge… et bien moulante aussi…, ajouta
Yvette avec un sourire et en pinçant affectueusement la joue d’Hélène. C’est
pour ça que je dois me priver de ce bon repas.
— Que j’aime donc pas ça t’entendre parler de même ! Tu vas t’abîmer la santé.
Déjà que je te trouve ben pâlotte…
— La fatigue, tante Mae…
— Raison de plus pour bien manger. Avale ta viande. C’est la robe qui faut qui
élargisse, pas toi qui maigrisses ! C’est à ça que ça sert le métier de
couturière.
Avec dégoût, Yvette regarda les épaisses tranches de jambon que sa tante avait
fait rôtir dans un poêlon. La nausée revint.
— Il faut vraiment que je me sauve. À plus tard !
Le cœur au bord des lèvres, elle enfila son manteau et s’empressa de sortir.
L’air froid de ce mois de mars lui fit du bien. Elle inspira profondément,
plusieurs fois, et la nausée diminua. Elle marcha longuement, monta dans un de
ces nouveaux autobus et descendit quelques arrêts plus loin sur la rue des
magasins. Elle déambula un moment, regardant distraitement par les vitrines.On aurait pu la prendre pour une flâneuse qui faisait du
lèche-vitrine si ce n’avait été de ce regard désemparé, ce pli soucieux sur son
front, ses mains nerveuses qui se nouaient et se dénouaient sans arrêt, sa
bouche crispée aux commissures tristes. Elle était enceinte… Ce n’était plus
juste une couture qu’il faudrait élargir… Enceinte… Qu’allait-elle devenir ?
Pour une fois qu’elle avait un grand rôle. Comment le dire… non, elle ne voulait
pas de ce bébé ; elle n’avait pas de chance, vraiment pas de chance… Désemparée,
elle déposa son front sur une des vitrines. La ville était sale. À ses pieds, un
amas de détritus se mélangeait à de la neige grise de poussière. L’air du
quartier dégageait un relent d’odeur d’urine et d’œufs pourris, ce qui exacerba
son malaise. Un groupe de jeunes gens l’accostèrent en riant.
— Hé, la belle ! Si t’es
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