Les porteuses d'espoir
sais que tu risques de rencontrer la mort ou de
revenir mutilé. Tu attends et tu essaies de tout faire pour surmonter cette
angoisse, cette panique qui monte en toi. Quand tu y parviens un peu, les
sirènes te rappellent à quel point tu survis sur un mince fil… Tu ne sais jamais
quand une bombe te tombera dessus. Tu surveilles le ciel ; tu écoutes chaque
petit bruit. La nuit, les nuits, c’est pire. L’obscurité ne te protège pas, au
contraire, elle te trahit.
Elle lut… ressentant… imaginant…
Comme tous les soldats, j’avais pris l’habitude d’aller danser, presque chaque
soir. C’était la seule façon de survivre, de ne pas sombrerdans
la folie… Les filles étaient belles et ne pensaient qu’à s’amuser, elles aussi.
Quand tu ne sais pas si tu vas mourir, si tu vas être encore en vie le
lendemain… le soir même… l’heure même, tu danses, tu danses et tu danses… une
fille dans les bras, n’importe laquelle. Tu quittes le dancing en riant, avec
elle tu traverses les champs bras dessus, bras dessous et tu danses, tu danses,
tu danses… En te mettant à l’abri dans les ruines d’une vieille ferme bombardée,
te disant que les Allemands ne perdront pas de temps à viser le même objectif
deux fois, tu danses, tu danses… Tu entends le sifflement de l’obus qui passe si
près de toi, tu sens son souffle meurtrier qui renifle ses victimes, alors tu as
tellement peur, tu t’étends, par terre, sur le sol de terre battue et tu danses,
tu danses…
À l’aube, fatigué, tu as moins peur, chacun s’en va de son bord, tu ne cherches
même pas à revoir l’autre, mais un jour, elle est devant toi, son père à ses
côtés tenant un fusil de chasse pointé vers toi.
Elle lut… sachant déjà qu’elle pardonnait…
Une heure après, j’étais marié et je me savais futur père. Le lendemain, j’étais
sur un bateau avec des milliers d’autres soldats. Nous partions achever les
Allemands. La guerre a pris fin, puis j’ai été démobilisé. Mon épouse anglaise a
pu me rejoindre un an après. Je croyais qu’elle refuserait de quitter
l’Angleterre, mais je crois qu’entre un père autoritaire et un soldat
canadien-français, elle a préféré le souvenir du charme d’une danse.
Julia est arrivée, avec d’autres épouses de guerre, en 1946. J’ai fait le voyage
jusqu’à Halifax pour aller les accueillir, elle et mon fils, que je n’avais
jamais vu encore, à part sur une photographie. Tu ne peux savoir à quel point
j’étais nerveux ! Cette Anglaise me semblait si irréelle… Au Pier 21, c’était la
fête. Des journalistes, des curieux, des notables, des familles, avaient envahi
le quai pour attendre les War Brides. Je ne comprenais pas pourquoi ces gens
étaient si heureux et traitaient ces femmes de manière si royale. Moi, je me
sentais pris au piège. J’avais envie de me sauver, de disparaître, de la laisser
mechercher, de l’abandonner, de la renvoyer chez elle. Il y en
a qui le faisaient. Ces femmes, seul un télégramme les attendait leur disant que
le mari avait fait une erreur. Je suis un homme responsable, Yvette… Alors, j’ai
essayé, pour mon fils. Mais Julia et moi, nous étions deux étrangers que bien
plus qu’un océan avait séparés. Je ne t’ai jamais dit de mots d’amour : je me
l’interdisais à cause de ma condition d’homme marié… Mais je ne veux plus jouer
à celui qui est au-dessus de tout. Dès la première fois que je t’ai vue dans ta
robe rouge et tes souliers à talons hauts, tu m’as conquis. Julia va repartir en
Angleterre, c’est une question de formalités. Cendrillon, je t’aime et je vais
faire de toi la plus grande des vedettes. Viens me rejoindre, je t’attends, ce
soir. Ne me déçois pas, j’ai tant de grands projets, surtout UN, pour toi, pour
nous…
— Cendrillon, je savais que tu viendrais.
— Paul-André, je… je…
Yvette avait pris sa décision. Elle avouerait son état à Paul-André. Il prenait
ses responsabilités, lui avait-il écrit. Ils trouveraient une solution. Il avait
un grand projet. Il divorçait, se séparait de sa femme…? Cela ne serait pas le
mariage rêvé, mais au moins, il y avait une perspective d’avenir pour elle.
Paul-André ne lui laissa pas le temps d’enlever son manteau ; il la prit dans
ses bras et se mit à l’embrasser.
— Julia n’est rien pour
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