Les porteuses d'espoir
Mathieu ?
— Ton frère est parti chercher tes parents. Moi, je loge chez les religieuses.
Je vais rester avec toi tout le temps, jusqu’à ce que tu sortes ! dit-elle
fièrement.
Cela ne plaisait vraiment pas à Pierre.
— Ils ne voulaient pas trop, mais quand j’ai dit que j’étais ta fiancée, ils
ont bien voulu.
Il serra les dents. Il avait de la difficulté à tolérer la présence de la jeune
fille. Il se retenait pour ne pas lui hurler de s’en aller. Odile se méprit et
crut qu’il souffrait. Il ne la démentit pas.
— Comment Mathieu t’a prévenue ?
— Il est gentil. Il a pris l’adresse sur ma lettre que tu avais sur toi. Il
pensait que tu étais mort dans le train…
— Odile, si tu pleures encore, j’te jure que…
Cette fois, il eut vraiment un rictus de douleur. Il avait eu le réflexe de se
redresser et sa plaie chirurgicale lui avait rappelé à quel point il devrait se
rétablir pas à pas, lentement, sans geste brusque et surtout sans Odile pour
l’exaspérer !
Yvette ne trouva le courage d’affronter Paul-André que le lendemain. Elle
voulait retrouver toutes ses forces. Il n’était pas question de se montrer
défaite ou anéantie. Elle prit un soinméticuleux à améliorer
son apparence, s’attardant sur son maquillage. Il lui fallait tricher, cacher
les cernes d’insomnie, redonner de la couleur à un teint gris d’inquiétude,
faire sourire des yeux qui ne pensent qu’à pleurer… Élégante, vêtue de sa plus
belle robe, elle se présenta à la répétition plus tôt que prévu. Elle savait
qu’elle y trouverait Paul-André dans son minuscule bureau aménagé sous les
tuyaux de la cave du théâtre. Il avait levé les yeux de sa paperasse. Sans lui
laisser le temps d’ouvrir la bouche, sans tergiverser, elle lui demanda :
— Est-ce que c’est vrai que tu es marié... et père ?
Il n’avait pas nié. Son expression avouait.
— Alors, tu peux m’oublier. Tu n’es plus ni mon agent... ni mon amant.
Elle avait voulu quitter la pièce, mais Paul-André lui avait bloqué le
passage.
— Sandrine, attends, comment l’as-tu appris ?
— Je m’appelle Yvette, Y-vet-te !
— Tu ne peux pas me quitter ainsi ! C’est vrai, je suis marié, mais ce n’est
pas de ma faute ! Enfin, je veux dire... Viens, viens t’asseoir, nous allons
discuter. Tu ne peux quitter la troupe sur un coup de tête, tu as le premier
rôle !
— Pas dans ta vie en tout cas. Tout est fini, c’est tout.
— Non, écoute, tu vas comprendre… J’ai été obligé ! C’était la guerre, j’étais
en Angleterre !
— Paul-André, laisse-moi partir.
— Après tout ce que j’ai fait pour toi, tu pourrais au moins m’écouter. Ce rôle
va te rendre célèbre. Que je sois marié ou pas ne change rien…
— Ça change tout.
— La guerre, tu ne peux pas savoir… Je t’en prie, fais juste m’écouter un peu,
juste essayer de comprendre ! Après, tu partiras si tu le désires. Laisse-moi
une petite chance. Non, ne t’en va pas !
Yvette ne voulait pas se laisser attendrir. Elle s’était
attendue à tout sauf à cette attitude suppliante de son amant. Elle s’était
préparée à ce qu’il nie ou se fâche, mais pas à ce qu’il devienne doux,
implorant, fragile. Elle se sauva avant de se laisser fléchir.
Elle reçut la lettre le lendemain. Paul-André était probablement venu la
glisser lui-même sous la porte de la maison. Yvette alla s’enfermer dans la
salle de bains. Elle n’avait pas dormi de la nuit. Elle était désespérée…
Cendrillon,
Laisse-moi te raconter.
En Angleterre, nous étions si loin de chez nous. Une langue étrangère, des
coutumes différentes et, surtout, cette attente dans laquelle nous étions
plongés ; l’attente d’aller se battre. C’est difficile à expliquer, mais c’était
un peu comme lorsque, petit garçon, tu te tiens debout sur le bord d’un rocher
et que tu attends le signal pour sauter dans l’eau noire et effrayante…
Yvette releva les yeux. Elle ne reconnaissait plus Paul-André. Elle croyait
entendre sa voix, douce et basse. Pour la première fois, il parlait avec une
honnêteté et une transparence qui la firent tressaillir. Assise sur le rebord de
la baignoire, retenant son souffle… elle lut…
La vie de soldat, cantonné à Londres, c’était comme être sur le bord de ce
précipice. Tu attends, tu
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