Les porteuses d'espoir
l’entendait
plus...
Quand Yvette rentra de la manufacture, elle trouva Henry et sa tante qui
l’attendaient à la cuisine, la mine sombre.
— Bonjour, les salua-t-elle machinalement en allant ouvrir le nouveau
réfrigérateur de sa tante.
Elle sortit une bouteille de lait et l’apporta sur le comptoir. Ce n’était pas
rare que sa tante et Henry soient en tête à tête ainsi. Probablement encore
cette histoire de la maison et des Carmélites. En soupirant, elle retira le
bouchon. Pourtant, elle croyait que c’était réglé. Elle ne connaissait pas les
détails et s’en foutait d’ailleurs, mais elle savait que la maison appartenait
en fait au couvent. Léonie en aurait fait don à sa mort. Mais les papiers
n’avaient pas été clairs ou quelque chose de ce genre. Maintenant, sa tante
payait un loyer aux Carmélites. Après avoir rempli un verre à ras bord, elle se
pencha pour aspirer le dessus de mousse qui menaçait de se renverser. Elle resta
un long moment à observer les minuscules bulles qui éclataient l’une après
l’autre, en silence, en disparaissant, sans laisser de traces… Qu’est-ce que
cela pouvait lui faire que la maison soit à sa tante ou pas ? Que le lait
renverse ou pas ? Qu’elle le boive ou ne le boive pas… Elle, sa vie venait de
basculer. Il fallait que Paul-André la demande en mariage, il le fallait. Elle
allait lui avouer son état et il accepterait de prendre ses responsabilités, il
le fallait… Pourquoi avait-elle tant de peine à s’en convaincre ? Pourquoi ne
débordait-elle pas de bonheur à la pensée de cet enfant ? Parce qu’elle n’était
pas amoureuse de son gérant et lui non plus. Malgré sa semence en elle, l’amour
était ladernière des choses qu’on pouvait dire qu’ils avaient
fait ensemble. Quand il étendait son corps sur elle, quand il allait et venait
en elle, quand il se retirait d’elle en affirmant qu’avec cette méthode à la
mode, il n’y aurait pas de danger, ils ne faisaient pas l’amour, mais la guerre,
une guerre de pouvoir. Il l’avait assiégée pendant des semaines, jusqu’à ce
qu’elle abdique et lui ouvre les portes de sa cité. En conquérant, il y avait
pénétré, en tyran, il l’avait soumise à ses conditions. Et elle, reine déchue,
se soumettait, se faisait conciliante, croyant un jour partager la
couronne…
Yvette soupira et cala le verre de lait d’une traite. La froideur du liquide
lui fit du bien. Sa journée de travail à l’usine lui avait semblé interminable.
La certitude de porter l’enfant de Paul-André la coupait du reste du monde. Elle
accomplissait les gestes habituels, mais tout était différent. Ce secret qu’elle
portait au creux de son ventre changeait tout. Qu’était le reste, à côté de
cela ? Qu’était le besoin de manger, de boire ? Quelle importance, de savoir ce
que les autres filles prévoyaient faire le samedi suivant ? Yvette entendait le
babillage des ouvrières et ne comprenait pas qu’une telle s’en fasse pour sa
nouvelle coiffure, une autre pour la robe qu’elle mourait d’envie de s’acheter.
À cause de ce qui s’était implanté en elle, sans son avis, contre sa volonté,
elle venait d’être arrachée à son monde. Elle ne faisait plus partie des autres
filles, elle n’était plus une autre fille, elle était une fille perdue… Perdue
pour la société, perdue pour sa famille, sa tante… Elle ne pouvait plus
continuer comme cela. Il fallait qu’elle affronte son amant. Cela faisait des
jours qu’elle remettait l’aveu.
Henry et Marie-Ange se regardèrent l’un l’autre.
— Yvette, il faut que je te parle.
Le ton inhabituel de sa tante la fit sortir un peu de sa torpeur. Elle se
retourna dos au comptoir.
— Y es-tu arrivé quelque chose de grave ?
— Assis-toi, ma belle grande fille, dit Marie-Ange.
— Qu’est-ce qui se passe, vous en faites, une tête
d’enterrement ! s’étonna-t-elle.
Cette fois, Yvette porta vraiment attention à l’attitude grave de sa
tante.
— Vous commencez à vraiment me faire peur, vous deux. C’est maman, papa
ou…
Henry l’interrompit.
— Écoute, Yvette, ce qu’on a à t’annoncer n’est pas facile…
— Alors, dites-le qu’on en finisse ! Excusez-moi, mais je suis vraiment
inquiète…
— C’est ton prétendant...
Malgré elle, Yvette se couvrit le ventre de ses deux
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