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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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l’entendait
     plus...

    Quand Yvette rentra de la manufacture, elle trouva Henry et sa tante qui
     l’attendaient à la cuisine, la mine sombre.
    — Bonjour, les salua-t-elle machinalement en allant ouvrir le nouveau
     réfrigérateur de sa tante.
    Elle sortit une bouteille de lait et l’apporta sur le comptoir. Ce n’était pas
     rare que sa tante et Henry soient en tête à tête ainsi. Probablement encore
     cette histoire de la maison et des Carmélites. En soupirant, elle retira le
     bouchon. Pourtant, elle croyait que c’était réglé. Elle ne connaissait pas les
     détails et s’en foutait d’ailleurs, mais elle savait que la maison appartenait
     en fait au couvent. Léonie en aurait fait don à sa mort. Mais les papiers
     n’avaient pas été clairs ou quelque chose de ce genre. Maintenant, sa tante
     payait un loyer aux Carmélites. Après avoir rempli un verre à ras bord, elle se
     pencha pour aspirer le dessus de mousse qui menaçait de se renverser. Elle resta
     un long moment à observer les minuscules bulles qui éclataient l’une après
     l’autre, en silence, en disparaissant, sans laisser de traces… Qu’est-ce que
     cela pouvait lui faire que la maison soit à sa tante ou pas ? Que le lait
     renverse ou pas ? Qu’elle le boive ou ne le boive pas… Elle, sa vie venait de
     basculer. Il fallait que Paul-André la demande en mariage, il le fallait. Elle
     allait lui avouer son état et il accepterait de prendre ses responsabilités, il
     le fallait… Pourquoi avait-elle tant de peine à s’en convaincre ? Pourquoi ne
     débordait-elle pas de bonheur à la pensée de cet enfant ? Parce qu’elle n’était
     pas amoureuse de son gérant et lui non plus. Malgré sa semence en elle, l’amour
     était ladernière des choses qu’on pouvait dire qu’ils avaient
     fait ensemble. Quand il étendait son corps sur elle, quand il allait et venait
     en elle, quand il se retirait d’elle en affirmant qu’avec cette méthode à la
     mode, il n’y aurait pas de danger, ils ne faisaient pas l’amour, mais la guerre,
     une guerre de pouvoir. Il l’avait assiégée pendant des semaines, jusqu’à ce
     qu’elle abdique et lui ouvre les portes de sa cité. En conquérant, il y avait
     pénétré, en tyran, il l’avait soumise à ses conditions. Et elle, reine déchue,
     se soumettait, se faisait conciliante, croyant un jour partager la
     couronne…
    Yvette soupira et cala le verre de lait d’une traite. La froideur du liquide
     lui fit du bien. Sa journée de travail à l’usine lui avait semblé interminable.
     La certitude de porter l’enfant de Paul-André la coupait du reste du monde. Elle
     accomplissait les gestes habituels, mais tout était différent. Ce secret qu’elle
     portait au creux de son ventre changeait tout. Qu’était le reste, à côté de
     cela ? Qu’était le besoin de manger, de boire ? Quelle importance, de savoir ce
     que les autres filles prévoyaient faire le samedi suivant ? Yvette entendait le
     babillage des ouvrières et ne comprenait pas qu’une telle s’en fasse pour sa
     nouvelle coiffure, une autre pour la robe qu’elle mourait d’envie de s’acheter.
     À cause de ce qui s’était implanté en elle, sans son avis, contre sa volonté,
     elle venait d’être arrachée à son monde. Elle ne faisait plus partie des autres
     filles, elle n’était plus une autre fille, elle était une fille perdue… Perdue
     pour la société, perdue pour sa famille, sa tante… Elle ne pouvait plus
     continuer comme cela. Il fallait qu’elle affronte son amant. Cela faisait des
     jours qu’elle remettait l’aveu.
    Henry et Marie-Ange se regardèrent l’un l’autre.
    — Yvette, il faut que je te parle.
    Le ton inhabituel de sa tante la fit sortir un peu de sa torpeur. Elle se
     retourna dos au comptoir.
    — Y es-tu arrivé quelque chose de grave ?
    — Assis-toi, ma belle grande fille, dit Marie-Ange.
    — Qu’est-ce qui se passe, vous en faites, une tête
     d’enterrement ! s’étonna-t-elle.
    Cette fois, Yvette porta vraiment attention à l’attitude grave de sa
     tante.
    — Vous commencez à vraiment me faire peur, vous deux. C’est maman, papa
     ou…
    Henry l’interrompit.
    — Écoute, Yvette, ce qu’on a à t’annoncer n’est pas facile…
    — Alors, dites-le qu’on en finisse ! Excusez-moi, mais je suis vraiment
     inquiète…
    — C’est ton prétendant...
    Malgré elle, Yvette se couvrit le ventre de ses deux

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