Les porteuses d'espoir
criant
« Finita la guerra ! » ; c’est de l’italien. Il dit que c’est une langue facile
à apprendre. Elzéar le parle déjà couramment. Il a l’oreille pour les accents,
celui-là.
Pierre lisait les lettres de sa mère, ne pouvant s’empêcher d’imaginer ce
qu’aurait été sa vie en uniforme. Évidemment, sa mère ne parlait pas seulement
des deux soldats. Au contraire, elle n’oubliait jamais de dire un mot sur chacun
de leurs proches. Avec amusement, Pierre s’était rendu compte qu’elle suivait
toujours le même modèle. Elle avait un ordre bien précis. Elle commençait
par :
Ton père va bien, il te fait dire bonjour.
Ensuite, c’étaient les nouvelles de ses frères et sœurs par ordre de
rang :
Yvette m’aide beaucoup à la maison, surtout qu’elle ne va plus à l’école cette
année. Elle a eu une petite grippe la semaine dernière, mais tout est rentré
dans l’ordre. Mathieu est studieux et a le nez plongé dans ses livres. Comme tu
le sais, Laura habite désormais chez ton parrain, à Jonquière. Les religieuses
de son couvent sont très contentes d’elle. Elles la citent en exemple. Laura
tiendra le rôle de Marie,la mère de Jésus, dans leur spectacle
de Noël. Quelle fierté ! Jean-Baptiste me fait tourner en bourrique. Il est
encore revenu le pantalon déchiré de l’école. Léo n’est pas facile. Il fait des
crises. Surtout depuis que tu es parti. Tu avais le tour avec lui.
L’été suivant le feu, son petit frère Léo, âgé de presque trois ans, avait
souffert d’une méningite. Comme séquelle, le pauvre enfant était devenu sourd.
C’est vrai que Pierre l’avait pris sous son aile. Léo, qui parlait déjà avant sa
maladie, garda la mémoire de quelques sons. Cela donnait un drôle de charabia
quand il essayait de se faire comprendre. À titre d’expérience, Pierre s’était
bouché les oreilles. Il avait circulé dans la maison afin d’essayer de saisir ce
que Léo pouvait vivre. Il en avait déduit que les colères de son frère étaient
compréhensibles. L’incapacité de communiquer était très frustrante.
Léo te cherche partout et me rappelle notre petit chien Baveux. Tu sais comment
la pauvre bête est malheureuse quand Mathieu ou Yvette s’absente. Zoel t’a fait
un beau dessin d’un sapin que je t’envoie. Je lui ai promis de te dire que
c’était devenu un sapin dans une tempête de neige. Mais c’était surtout pour
rattraper la bêtise d’Adélard qui avait tout barbouillé par-dessus. J’ai tenu la
main de Barthélémy et on t’a dessiné un beau cœur dans le coin.
Ce dessin, Pierre en avait été tellement touché ! Il l’avait accroché au-dessus
de son lit à côté de son chapelet. Vers la fin de ses lettres, avant de parler
d’Elzéar et d’Henry à la guerre, sa mère ajoutait quelques mots sur la santé de
son parrain et lui demandait de prier pour lui. Ensuite, elle demandait de ne
pas oublier, dans ses prières, son cousin Jean-Marie.
Le pauvre garçon a décidé de devenir moine. Il ne sortira plus jamais de chez les
trappistes. Prie, mon fils, pour que Jean-Marie y trouve un peu de bonheur.
Jean-Marie, un moine trappiste... Pierre s’était promis d’aller le visiter dès
qu’il en aurait la possibilité.
J’espère que tu te couvres bien et que tu ne passes pas du chaud
au froid en bûchant. Porte bien le foulard que je t’ai tricoté.
Pierre avait reçu l’écharpe de laine rouge au début de la semaine. Dans le
colis, outre ce cadeau, il y avait un paquet de sucre à la crème et un autre
dessin de ses plus jeunes frères.
Dans sa cachette, Pierre eut un frisson. Le vent se levait et la neige devenait
plus abondante. Il serait certainement plus prudent qu’il retourne au campement.
Mais Pierre n’avait pas envie de quitter sa solitude tout de suite. Il fouilla
dans la poche de son manteau et en ressortit les derniers morceaux de sucre à la
crème qu’il avait précieusement ménagés. Il en mit un dans sa bouche et tout en
le dégustant, il se transporta dans la cuisine familiale en train d’en chaparder
un morceau. Il imaginait facilement Yvette, se croyant la reine du monde à
quinze ans, le dénoncer à sa mère :
« Maman, Pierre a encore fouillé dans les réserves ! »
En ce moment, sa sœur devait donner ses ordres aux plus jeunes. Ses nombreux
frères devaient lui en faire voir de
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