Les porteuses d'espoir
son
corps n’avait envie de bouger. Désormais, ses nuits étaient toujours aux aguets
du moindre bruit suspect. Même en ce moment, devenu presque un homme, Pierre eut
un instant d’appréhension. Du fond de sa grotte, il lui avait semblé entendre un
bruissement étrange. Il bloqua un instant sa respiration, tous ses sens en
alerte. Comme rien ne se passait, il se rassura. Il craqua l’allumette et
enflamma la mèche. Il replaça la chandelle dans sa niche improvisée et fixa un
long moment l’autre objet qui s’y trouvait. La flamme en révélait la présence en
le faisant briller de mille feux. Pierre ne regretta pas d’être venu s’isoler
dans son antre. Comme chaque fois depuis qu’il avait décidé qu’il n’y avait pas
de meilleur endroit où ranger ce précieux cadeau, il trouva du réconfort rien
qu’à la vue de la croix. Son père n’aurait pu lui offrir un présent plus
merveilleux. Avec délicatesse, Pierre prit la croix de bois entre ses mains. Il
effleura les petits grains d’or qui la parsemaient, de l’or des fous,
magnifiquement insérés par son arrière-grand-père paternel. Comment une simple
croix sculptée pouvait posséder un tel pouvoir ? Mais la croix commençait à
accuser les années. Des traces d’usure creusaient le bois sur les côtés et la
couleur s’était ternie, et cela la rendait encoreplus belle,
presque émouvante. De nouveau, Pierre sentit un picotement dans ses yeux. Avec
précaution, il remit la croix à sa place. Pierre en possédait une deuxième, plus
petite, qu’il portait à son cou au bout d’une chaîne d’argent. Celle-là, c’était
son parrain qui la lui avait offerte pour ses douze ans. Il ferma les yeux et
pensa à son oncle. À cette heure, sa mère devait surveiller son arrivée. Son
parrain venait toujours réveillonner à Saint-Ambroise. Même si personne de sa
famille n’osait l’avouer, tous auraient presque préféré que l’homme refuse
l’invitation. L’oncle était devenu le contraire du terme réjouissance . Il
ne blaguait plus. Comme les Noël précédents, son parrain allait s’engouffrer
dans la maison et irait immédiatement prendre place dans un fauteuil du salon.
Il demanderait un café et attendrait, les yeux dans le vide, pensant sans doute
aux absents, surtout à son fils Elzéar. Quelle tristesse ! se dit Pierre. Elzéar
aurait dû être auprès de son père et non au combat. En cette veille de Noël, que
faisait son cousin ? Avait-il l’occasion de fêter un peu ? Le soldat était-il
seulement encore vivant ? Depuis les quatre dernières années, Elzéar avait été
avare de nouvelles. À peine quelques mots, dans une lettre annuelle, se
résumaient à un laconique : toujours vivant, Joyeux Noël à tous ! comme s’il ne
se souciait pas de ceux laissés derrière. Il avait fait ses adieux et avait
tourné la page. Par chance, l’ami de ses parents, l’oncle Henry, comme on
l’appelait, écrivait pour deux et ne manquait pas de rassurer tout le monde sur
le soldat Elzéar. Quel soulagement quand on avait appris que les deux hommes
combattaient au sein de la même division ! Pierre se souvint des paroles de sa
mère lorsqu’elle avait reçu la lettre de l’avocat de Montréal, lui annonçant son
engagement à titre d’officier dans le Royal 22 e Régiment. Au début,
elle avait tempêté :
« Le monde est viré à l’envers, Henry est tombé sur la tête ! Il est bien trop
vieux, plus de quarante ans, il aurait pu être dispensé ! »
En lisant la suite, elle s’était radoucie et avait ajouté :
« Cher Henry, il va veiller sur Elzéar. Il aura toujours été
notre ange gardien... »
Sa mère avait pleuré quand elle avait appris que leur protecteur avait été
blessé. C’était au début de la guerre, lors de son séjour en Angleterre. Un
bombardement avait eu lieu en banlieue de Londres. Heureusement, Henry s’était
rapidement remis de ses blessures dans un hôpital de la capitale anglaise. Il
était retourné combattre. Avec ses troupes, c’est en Italie que lui et Elzéar
repoussaient maintenant les Allemands. Au chantier, Pierre continuait de suivre
les péripéties d’Elzéar et d’Henry par les lettres de sa mère.
Henry dit que les Italiens sont des gens très attachants. Ils ont accueilli les
Alliés presque en héros. L’armée italienne était heureuse de se rendre,
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