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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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son
     corps n’avait envie de bouger. Désormais, ses nuits étaient toujours aux aguets
     du moindre bruit suspect. Même en ce moment, devenu presque un homme, Pierre eut
     un instant d’appréhension. Du fond de sa grotte, il lui avait semblé entendre un
     bruissement étrange. Il bloqua un instant sa respiration, tous ses sens en
     alerte. Comme rien ne se passait, il se rassura. Il craqua l’allumette et
     enflamma la mèche. Il replaça la chandelle dans sa niche improvisée et fixa un
     long moment l’autre objet qui s’y trouvait. La flamme en révélait la présence en
     le faisant briller de mille feux. Pierre ne regretta pas d’être venu s’isoler
     dans son antre. Comme chaque fois depuis qu’il avait décidé qu’il n’y avait pas
     de meilleur endroit où ranger ce précieux cadeau, il trouva du réconfort rien
     qu’à la vue de la croix. Son père n’aurait pu lui offrir un présent plus
     merveilleux. Avec délicatesse, Pierre prit la croix de bois entre ses mains. Il
     effleura les petits grains d’or qui la parsemaient, de l’or des fous,
     magnifiquement insérés par son arrière-grand-père paternel. Comment une simple
     croix sculptée pouvait posséder un tel pouvoir ? Mais la croix commençait à
     accuser les années. Des traces d’usure creusaient le bois sur les côtés et la
     couleur s’était ternie, et cela la rendait encoreplus belle,
     presque émouvante. De nouveau, Pierre sentit un picotement dans ses yeux. Avec
     précaution, il remit la croix à sa place. Pierre en possédait une deuxième, plus
     petite, qu’il portait à son cou au bout d’une chaîne d’argent. Celle-là, c’était
     son parrain qui la lui avait offerte pour ses douze ans. Il ferma les yeux et
     pensa à son oncle. À cette heure, sa mère devait surveiller son arrivée. Son
     parrain venait toujours réveillonner à Saint-Ambroise. Même si personne de sa
     famille n’osait l’avouer, tous auraient presque préféré que l’homme refuse
     l’invitation. L’oncle était devenu le contraire du terme réjouissance . Il
     ne blaguait plus. Comme les Noël précédents, son parrain allait s’engouffrer
     dans la maison et irait immédiatement prendre place dans un fauteuil du salon.
     Il demanderait un café et attendrait, les yeux dans le vide, pensant sans doute
     aux absents, surtout à son fils Elzéar. Quelle tristesse ! se dit Pierre. Elzéar
     aurait dû être auprès de son père et non au combat. En cette veille de Noël, que
     faisait son cousin ? Avait-il l’occasion de fêter un peu ? Le soldat était-il
     seulement encore vivant ? Depuis les quatre dernières années, Elzéar avait été
     avare de nouvelles. À peine quelques mots, dans une lettre annuelle, se
     résumaient à un laconique : toujours vivant, Joyeux Noël à tous ! comme s’il ne
     se souciait pas de ceux laissés derrière. Il avait fait ses adieux et avait
     tourné la page. Par chance, l’ami de ses parents, l’oncle Henry, comme on
     l’appelait, écrivait pour deux et ne manquait pas de rassurer tout le monde sur
     le soldat Elzéar. Quel soulagement quand on avait appris que les deux hommes
     combattaient au sein de la même division ! Pierre se souvint des paroles de sa
     mère lorsqu’elle avait reçu la lettre de l’avocat de Montréal, lui annonçant son
     engagement à titre d’officier dans le Royal 22 e Régiment. Au début,
     elle avait tempêté :
    « Le monde est viré à l’envers, Henry est tombé sur la tête ! Il est bien trop
     vieux, plus de quarante ans, il aurait pu être dispensé ! »
    En lisant la suite, elle s’était radoucie et avait ajouté :
    « Cher Henry, il va veiller sur Elzéar. Il aura toujours été
     notre ange gardien... »
    Sa mère avait pleuré quand elle avait appris que leur protecteur avait été
     blessé. C’était au début de la guerre, lors de son séjour en Angleterre. Un
     bombardement avait eu lieu en banlieue de Londres. Heureusement, Henry s’était
     rapidement remis de ses blessures dans un hôpital de la capitale anglaise. Il
     était retourné combattre. Avec ses troupes, c’est en Italie que lui et Elzéar
     repoussaient maintenant les Allemands. Au chantier, Pierre continuait de suivre
     les péripéties d’Elzéar et d’Henry par les lettres de sa mère.
    Henry dit que les Italiens sont des gens très attachants. Ils ont accueilli les
     Alliés presque en héros. L’armée italienne était heureuse de se rendre,

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