Les porteuses d'espoir
accepter ?
— Astheure qu’il leur a mis ça dans la tête, qu’ils allaient se baigner tous
les jours, faire du canot, pêcher, comment veux-tu que je réussisse à garder
Adélard pis Zoel à Chicoutimi ?
— Henry va faire un bon politicien.
— Pis un bon père de famille.
— Ton Mathieu a changé. C’est à cause de Jeanne-Ida si je comprends
bien ?
— Peut-être..., admit Julianna à contrecœur.
— C’est fou, le pouvoir d’une femme ! Imagine si on avait de la place en
politique ! On en ferait des lois, comme madame Casgrain. On s’occuperait des
femmes de tes lettres.
— Les maris violents iraient en prison !
— Les enfants seraient protégés !
— Pis on mettrait les hommes à notre service. C’est eux autres qui feraient la
vaisselle !
— Ben en attendant, celle du repas traîne sur l’évier…
— Tu laves ou j’essuie ?
En riant, les deux sœurs rentrèrent faire le ménage de la cuisine. Malgré la
tristesse de l’annonce du départ de Marie-Ange, Julianna était heureuse de leur
conversation. Quand une personne brise le silence et qu’elle confie sa
souffrance, c’est déjà un grand pas vers la guérison. C’était cela, son courrier
du cœur ; ce n’était peut-être pas si inutile que cela, après tout ?
— Mademoiselle Henriette ! bafouilla Georges en ouvrant la porte à la
visiteuse.
La ménagère du curé sourcilla. Dans ses mains, elle portait une grosse boîte
recouverte d’un linge.
— Je vous apporte du pain chaud, un gâteau pis tout ce qu’il faut pour faire de
la soupe.
Refusant de lui tendre la boîte, elle se dirigea de son pas autoritaire vers la
cuisine. Elle déposa son paquet sur le comptoir et regarda le désordre. Georges
l’avait suivie.
— Mademoiselle Henriette, je...
Devant le regard sévère de la femme, il ne termina pas sa phrase. Sans un mot,
la ménagère prit la bouteille d’alcool et la vida dans l’évier. Georges s’assit
à la table et déposa sa tête sur ses bras en pleurant comme un enfant.
— Je suis maudit, mademoiselle Henriette, maudit.
Sans que les pleurs de l’homme ne semblent l’affecter, elle prit un linge et
épongea doucement la photographie mouillée. Elle la remit dans son cadre, prit
les deux autres et alla les porter sur latablette de la
fenêtre. Elle attrapa le verre vide et alla le mettre avec le reste de la
vaisselle sale. Tandis qu’une eau chaude remplissait la cuve, elle nettoya le
dessus de la table. La ménagère recentra le plat de bonbons sur son napperon de
dentelle. Les larmes de Georges se tarirent. La ménagère lui dit :
— Je fais pas à manger dans une cuisine sale. Pendant que je frotte, vous avez
le temps de me raconter ce qui va pas, je pense.
Cet été-là, François-Xavier et Julianna passèrent tous leurs dimanches au
chalet d’Henry. Ils allaient retrouver Adélard, Zoel et Hélène qui avaient la
chance, eux, d’y séjourner avec la femme d’Henry. Julianna apportait son travail
de journaliste et, à l’ombre, regardait ses fils jouer et profiter de la vie
avec leur cousine. Marie-Ange était partie. Pour ne pas gâcher l’été d’Hélène,
elle et Julianna avaient décidé d’attendre l’automne avant d’annoncer la
nouvelle à la jeune fille. Celle-ci croyait que sa marraine était seulement en
voyage aux États et que son séjour était provisoire. En voyant Hélène bronzée,
heureuse, Julianna se dit que sa sœur avait pris la bonne décision. On n’avait
pas revu Georges. Il refusait de leur parler. Pierre et Mélanie n’étaient pas
encore revenus de la Gaspésie. Leur voyage de noces s’éternisait ! Pierre leur
avait fait parvenir une carte postale magnifique. L’image représentait une vue
prise du pic de l’aurore en face du rocher Percé.
Faisons un beau voyage. La Joséphine est pas rien qu’une barque
pourrie. Mélanie cherche des pierres précieuses. Moi j’ai trouvé un trésor.
À bientôt, votre fils Pierre.
Julianna avait lu la carte à son mari avec enthousiasme. Étrangement, celui-ci
n’avait pas partagé sa joie. François-Xavierétait plus
taciturne depuis quelque temps. Assise sur une chaise de bois, face au lac,
Julianna repensa à son mari. Elle avait accepté l’invitation de la femme d’Henry
à passer la semaine au complet avec elle. Il faisait une telle chaleur… Partout
au Québec, on battait
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