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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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cache très profondément.
    — Ça, ça veut dire que vous allez me prendre comme élève ?
    — Vous voyez cette fleur, mademoiselle ? dit madame Bourget en désignant une
     marguerite dans un vase. Son cœur, c’est le talent. Chaque pétale, c’est le
     travail ; le travail de diction, d’interprétation, de déclamation, de vocalise,
     de répétition, le travail, le travail, le travail. Sans ces pétales, une fleur
     n’est rien, talent ou pas.
    — Je comprends.
    — Et ce n’est pas tout. Cette fleur semble fragile et pourtant, sur sa simple
     tige, elle se tient bien droite, forçant l’admiration, cherchant la lumière du
     soleil. Redressez vos épaules, mademoiselle. Quand vous chantez, que votre
     visage s’offre à votre public, faites-vous admirer ; ayez une attitude fragile,
     mademoiselle, mais en dedans, vous êtes solide comme un roc. Poussez vos pieds
     dans le sol, enracinez-vous profondément, rien ne peut vous faire trébucher. Les
     épaules, mademoiselle, les épaules, tenez-vous droite. Respirez, respirez, votre
     voix doit venir du plus profond de vous-même. Ne criez pas, projetez, projetez !
     Votre voix est une offrande, allez la porter, sur un plateau, jusqu’au fond de
     la salle, vous m’entendez, mademoiselle Rousseau ? Recommencez, recommencez,
     recommencez !
    Reprenez, reprenez, reprenez ! Le travail, mademoiselle Rousseau, le
     travail !
    Seigneur, que de fois, par la suite, avait-elle entendu son professeur la
     houspiller ainsi ! Yvette avait persévéré, suivant à la lettre les
     recommandations de madame Bourget. La femme avait insisté pour qu’en plus du
     chant, elle s’initie au théâtre. Yvette avait dû acheter des livres aux titres
     compliqués et auxquels elle ne comprenait rien.
    — Chimène, mademoiselle Rousseau, Chimène souffre, vous ne
     pouvez déclamer cette tirade avec un sourire niais, reprenez ! Le Cid est
     une œuvre grandiose, mademoiselle. Soyez un tant soit peu à la hauteur !
     Corneille va se retourner dans sa tombe si vous maltraitez sa poésie avec autant
     d’ardeur. Ne sentez-vous pas le doute assaillir Rodrigue ? Votre sensibilité
     ressemble à une poule pas de tête, mademoiselle. Il faut nous convaincre, vous
     devez nous toucher, ici, en plein cœur ! De la passion, de la passion,
     enflammez-vous, mademoiselle, de grâce !
    Yvette n’avait le temps de gagner que quelques sous qu’il lui fallait déjà les
     dépenser en livres de théâtre. La nuit, elle mémorisait ses textes, mademoiselle
     Bourget ne l’autorisant pas à s’en servir devant elle.
    — Si vous ne connaissez pas vos répliques sur le bout des doigts, vous ne
     pourrez jamais y ajouter de l’émotion. On ne marmonne pas, on déclame. Une
     envolée, mademoiselle, une envolée, le mot le dit !
    Pendant son travail à la manufacture, Yvette, à voix basse, faisait ses
     exercices de diction suivant le rythme des machines : « Les chemises de
     l’archiduchesse sont-elles sèches ou archisèches ? Piano, panier ; piano,
     panier, piano, panier. » Une fois par semaine, pendant deux ans et demi, Yvette
     s’était présentée chez son professeur, travaillant avec acharnement. Elle refusa
     les invitations à sortir de quelques garçons. Ils ne l’intéressaient pas. Depuis
     qu’elle avait commencé ses leçons, elle vivait dans un autre monde. Un monde à
     mille lieues des préoccupations de ces pauvres prétendants qui croyaient que Corneille n’était qu’un gros oiseau noir. Ses rares moments de
     détente étaient quand Henry et Mathieu venaient veiller. Avec Isabelle, qui, par
     hasard, n’avait rien de prévu ces soirs-là, ils s’asseyaient au salon et
     discutaient pendant des heures. Henry avait retrouvé sa verve de politicien.
     Comme avec son professeur, elle écoutait, enregistrait, démêlait, ouvrait son
     esprit. Henry aimait qu’Yvette et Isabelle s’obstinent,
     posent des questions. Évidemment, Mathieu restait le plus souvent silencieux,
     mais parfois, il se risquait à émettre une opinion. Henry possédait une telle
     passion et de telles connaissances qu’Yvette, qui avait à peine fréquenté
     l’école, en apprenait plus sur le monde que jamais. Souvent, Henry s’échauffait.
     Surtout quand il parlait de Duplessis avec Marie-Ange qui venait mettre son
     grain de sel dans la conversation.
    — Faut pas trop écouter radoter ce cher Henry, les jeunes. Il voudrait monter
     une révolution

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