Les porteuses d'espoir
celui-ci n’était qu’un jeune blanc-bec, au-dessus de
ses affaires, sans respect, et qui passait son temps à fouiner et à parler à
travers son chapeau. François-Xavier avait travaillé si fort, ne rechignant
devant aucune besogne, que ce soit de récurer les équipements ou de laver les
planchers à quatre pattes. Il croyait au moins gagner en avancement. Il lui
fallait tout son petit change pour ne pas envoyer paître ce jeune écervelé qui
le rabrouait devant les autres et le traitait comme du poisson pourri. Il aurait
eu bien besoin de détente ce soir, du réconfort des bras de sa femme, de sa
tendresse. Mais Julianna l’avait repoussé. Il soupira. Il entendit sa femme qui
revenait. Il essaya de faire semblant de dormir. Mais elle ne se recouchait pas
à ses côtés, ne faisait pas grincer le lit, mais qu’est-ce qu’elle fait ? Elle
repousse le drap, c’est vrai qu’il fait chaud, mais, elle le caresse, hum… oui,
il va la prendre dans ses bras, mais…
— Tu bouges pas, cette nuit, c’est moi qui décide de tout…
Ah ! Julianna… il devait rêver. Un homme est maître du monde quand une femme,
sa femme, prend la peine de le conquérir.
Avec amusement, il suivit la lueur rouge de sa cigarette former des arabesques
dans la nuit. Il tira une autre bouffée et changea de jeu. La bouche arrondie,
il souffla de petits cercles blancs qui s’évanouirent l’un après l’autre. Lassé,
Pierre jeta le mégot par terre. Assis sur le banc d’un parc, non loin de la
chambre qu’il louait, le jeune homme roux déposa sa tête entre ses mains et
regarda la cigarette finir de se consumer. Ces heures d’insomnie lui coûteraient
cher demain quand, à l’aube, il devrait se présenter au travail. Mais à la
pensée de regagner l’étouffante pièce contenant un lit et une commode, il se
ralluma une autre cigarette. Plusqu’une et son paquet serait
vide. La tentation de passer le reste de la nuit sur ce banc fut grande. Il
imagina un policier, faisant sa ronde, le méprenant pour un voyou ou un pauvre
bougre. Malgré qu’à Jonquière, il risquait d’être aussi tranquille qu’en pleine
forêt. Écœuré par le goût du tabac, d’une pichenotte, il envoya virevolter la
cigarette, à peine entamée, le plus loin possible dans le sentier de terre qui
serpentait dans le parc. Il s’étendit sur le dos le long du banc. Les lattes de
bois n’étaient pas très confortables et l’espace était étroit, mais la vue sur
le ciel étoilé en valait le coup. Tout à coup, une étoile filante passa dans son
champ de vision. D’un geste enfantin, Pierre ferma les yeux et voulut faire un
vœu. Il se rassit d’un coup sec, exaspéré. Rien ne lui était venu en tête. Aucun
désir, le néant total dans sa tête. Ce devait être la canicule de ce début de
juillet. Bien sûr, il aurait pu souhaiter de trouver un gros montant d’argent ou
de s’acheter la voiture rêvée, un modèle de 1951, toute neuve et rutilante ;
mais quant à un vrai vœu, un vrai de vrai, un vœu de vie, rien ne surgissait à
son esprit. Que se passait-il avec lui ? Comment, à l’âge de vingt-cinq ans
seulement, ne pas désirer quelque chose de vraiment important ? Après la mort de
Patrick O’Connor et son retour au Saguenay, il ne s’était pas trop posé de
questions. Il avait été d’une grande aide lors du déménagement de sa famille.
Jamais il n’avait vu sa mère si heureuse qu’à cette période. Elle préparait les
cartons en chantant, avait mille projets et ne cessait de leur répéter combien
ils seraient heureux à Chicoutimi. Quand Pierre avait visité le supposé
appartement rêvé de sa mère, il avait été étonné de voir à quel point ce n’était
pas si grand ni si chic. Sans qu’il comprenne pourquoi, sa mère semblait avoir
idéalisé sa nouvelle demeure. Quand sa famille fut bien installée, il chercha un
endroit pour lui.
— Mais Pierre, il y a trois chambres dans l’appartement, s’était objecté sa
mère. Tu peux en partager une avec Jean-Baptiste. Deux petits gars par chambre,
vous allez être bien !
— Justement maman, je suis plus un p’tit gars. Je suis habitué
de faire les choses à ma manière. Je vais me trouver un bon boulot pis une
chambre pas chère.
— T’as pas idée de t’en retourner à Montréal ou Dieu sait où ?
Il l’avait rassurée.
— Non, non,
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