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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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cette broussaille habitée et des démangeaisons intolérables qu’elle nous occasionnait.
    Les soldats qui avaient exercé la fonction de perruquiers ou de coiffeurs furent réquisitionnés pour reprendre du service. Ils étaient une dizaine et ne chômèrent pas, sans se plaindre, car certains de leurs clients leur laissaient un pourboire en nature ou en monnaie.
     
    Nous étions trop mal organisés pour préparer une évasion. Il eût fallu des officiers ou des chefs entreprenants, mais ils avaient quitté l’île, et les malheureux qui restaient avaient d’autres soucis que de risquer leur vie dans une aventure hasardeuse. La dernière tentative, celle de Pfister, avait sombré dans un tel ridicule qu’elle avait coupé l’envie aux éventuels candidats. Nous étions d’ailleurs dans un tel état de débilité que tout effort prolongé eût été impossible à la plupart d’entre nous.
    La mortalité progressait au pas de charge.
    Accuser don Balthazar Fernandez d’indifférence devant cette hécatombe eût été injuste. Il se battait pour nous, me faisait lire des doléances qui avaient un ton de supplique, me confiait le soin de les remettre à notre pourvoyeur ou à son subrécargue, et me faisait part des réponses quand on daignait lui donner acte de ses requêtes.
    Je le surpris un jour, devant l’amirauté, animé d’une colère qui le transfigurait et n’avait d’égale que celle qui avait suivi le rapt du cheval. Les gardiens chargés de livrer au château les subsistances qui lui étaient réservées étaient tombés dans un guet-apens minutieusement préparé. Une dizaine d’hommes masqués les avaient assommés avant d’emporter la marchandise et, plus grave encore, leurs armes. Rechercher les coupables ? Notre commissaire n’y songeait même pas. Il disposait d’une poignée d’hommes quand il aurait fallu un bataillon !
     
    Nous avions de temps à autre la surprise, sinon la joie, de voir débarquer d’autres contingents de prisonniers, preuve que la guerre sévissait encore dans la Péninsule, ce qu’ils ne démentaient pas. C’étaient pour la plupart des fonds de tiroir : Polonais, Allemands ou Italiens. De par leurs exigences, ils nous donnaient du souci, notamment pour la distribution des marchandises, trop rares et maigres à leur gré.
     
    L’été 1813 allait apporter un bouleversement dans notre petit monde.
    Je rencontrais souvent, aux abords des cavernes, des hommes semblables aux « animaux farouches » dont parle La Bruyère. Accroupis sur le sol, ils le grattaient à s’en arracher les ongles pour en extraire une provende misérable d’insectes, de vers et de racines parfois vénéneuses. Il mourait chaque semaine une dizaine de ces malheureux.
    Après une famine sévère, qui avait fait des centaines de victimes, une patrouille découvrit, dans une cabane proche du pic de Bellamiranda, des restes humains en partie calcinés.
    Cet endroit était habité par deux invertis : un cuirassier français et un lancier polonais, dont on se moquait mais qui semblaient faire bon ménage. Lorsque le Français tomba malade, son compagnon l’égorgea et le dépeça.
    Un voisin nommé Canappe, surpris par des fumées aux odeurs suspectes, se rendit sur les lieux. Il trouva le Polonais en train de faire griller de la viande. Intrigué par l’absence du Français, Canappe alla exposer sa découverte au commissaire, qui envoya une patrouille. Le Polonais ne chercha pas à se disculper, les preuves de son crime étant évidentes. Il n’avait qu’un argument à sa décharge : comme ils étaient acculés à la faim, l’un d’eux devait être sacrifié. Ç’avait été le Français, que sa maladie condamnait. Cela ne suffit pas à épargner au monstre la peine capitale.
    Comme il se plaignait de n’être pas rassasié, Diaz lui fit préparer un repas consistant et lui offrit une bouteille de vin. Il se déclara satisfait de mourir le ventre plein. Transporté à la colline des Dragons, le Polonais fut exécuté dans les règles, sans oraison funèbre, par un peloton des soldats de la garnison.
    À la même époque, j’eus connaissance par notre commissaire d’une nouvelle terrifiante. La junte réclamait l’envoi à Palma des « déportés inutilisables », comme si les loques humaines que nous étions pouvaient être utiles à quelque chose !
    Le commissaire me confia le

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