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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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chefs se serait-elle conclue sur le pré, « par un petit matin brumeux », comme il est dit dans les romans…
    J’ignore si par la suite ils se sont retrouvés en France, mais j’en doute, leurs destinées ayant divergé, Dupont destitué et envoyé en forteresse pour des années et Vedel transféré à Paris, jugé en Haute Cour et destitué.
    Je regrettais la perte de Capitan, mais, là où l’on nous menait, je n’aurais pas eu besoin de lui. J’avais d’ailleurs d’autres soucis en tête, Auguste Murel m’ayant annoncé qu’il faudrait me couper la jambe pour éviter la gangrène. Je me rebellai contre cette décision. Avec une jambe qui battait la breloque et l’autre absente, j’aurais été bon pour la réforme, à la fleur de l’âge, ce qu’à Dieu ne plaise ! Je mis tant de conviction dans mon refus que Murel renonça en me promettant mille souffrances. Si bon praticien qu’il fût, il se trompait je me remis plus vite que prévu.
     
    Il ne se passait ni jour ni nuit sans que je songe à Josefa.
    J’avais, à vrai dire, fait mon deuil de cette aimable maîtresse que je n’avais pas vraiment aimée, du moins comme je l’aurais dû. Les courriers que je lui avais adressés chez Garcia lui étaient-ils seulement parvenus ? Toujours est-il que je n’en reçus aucun d’elle. La guerre… Dire que je souffrais serait me prêter des sentiments que Josefa ne m’avait jamais inspirés. J’avais l’impression, lorsque je la tenais nue dans mes bras, respirant son parfum et ses odeurs intimes, d’étreindre son pays et de me fondre en lui. Passé la sierra Morena, ce qui subsistait en moi de souvenirs heureux s’était dissipé dans les vents âpres de la guerre.
     
    La honte de notre défaite m’habitait comme un corps étranger et me rongeait comme une gangrène.
    Nous sommes restés quatre jours devant Baylen, dans les oliveraies qui entourent la ville, mal nourris et abreuvés au goutte à goutte malgré la chaleur étouffante, incapables de bouger, pareils à des larves. J’avoue sans scrupule avoir bu mon urine, mâché le cuir de ma ceinture pour tromper ma faim et sucé des cailloux pour me donner une illusion de fraîcheur. J’ai gratté la terre pour y trouver des vers et des insectes. Les secours des Espagnols, après les attentions généreuses du début, avaient fait place à l’indifférence.
    Ce n’est que le 23 juillet au matin que le général Castagnos, pris de pitié, nous fit parvenir quelques charretées de vivres sur lesquels nous nous jetâmes comme des chiens. Je me traînai à la distribution et dus user de ma canne pour obtenir ma ration.
    Le lendemain, l’ordre vint du général Dupont d’avoir à nous préparer pour défiler, « avec les honneurs », devant nos vainqueurs.
    Il nous fallut plus d’une heure pour épousseter nos habits, nous faire la barbe et astiquer nos armes. Dans l’incapacité où je me trouvais de marcher, Dupont me confia un cheval. Durant une heure, nous avons défilé, musique en tête, sous nos drapeaux, devant la tribune occupée par Castagnos, Reding et le marquis de Coupigny, un émigré infatué de sa méprisable personne, qui devait trouver dans ce triste spectacle une revanche sur ses épreuves et la mort de son roi. Nous n’étions plus que sept à huit mille, alors que Vedel n’avait subi que peu de pertes et que la tenue de sa troupe était impeccable.
    Le lendemain, nous fumes dirigés sur Baylen pour déposer aux mains de l’ennemi notre artillerie et ranger nos fusils en faisceaux sur le front de bandière. On nous donna l’assurance qu’ils nous seraient remis à notre retour en France : une promesse qui resta lettre morte, de même que notre libération, prévue par le traité de capitulation.
    La honte me soulevait le cœur d’avoir à nous donner en spectacle devant ce ramassis de soudards dépenaillés qui se moquaient de nous et nous abreuvaient de lazzis. Pire fut la fouille qui nous fut imposée. Je parvins à dissimuler dans ma ceinture et à l’intérieur de mon chapeau les quelques réaux qui me restaient.
    Ce n’était que le début de nos misères.
    Les ordres de la junte insurrectionnelle de Séville portaient que nous devions prendre en deux colonnes la route de Cadix en vue de notre embarquement pour la France. En route, des essaims de paysans s’agglutinaient autour de nous pour nous insulter et nous

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