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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Afrique ?
    — Ce serait peut-être préférable pour vous…
     
    J’entendis pour la première fois, prononcé par un officier anglais accompagnant une délégation de la junte, le mot « ponton ». Il ne figurait pas dans mon dictionnaire. Murel m’en donna la signification :
    — Tu as pu remarquer, dans les ports où tu as séjourné, des cimetières de bateau qui finissent de pourrir au fond d’une rade ? Les plus aptes, sinon à reprendre du service du moins à ne pas couler, sont transformés en prisons flottantes : des pontons…
    — Des prisons ? Ne me dis pas que nous…
    — C’est pourtant ce que je crains !
    Il me rappela que cette forme d’incarcération n’était pas une invention anglaise ou espagnole. Louis XIV en avait usé à Saint-Malo et à Brest pour les marins britanniques capturés en haute mer par ses corsaires. Les Anglais, qui avaient repris cette pratique dans leurs ports et sur la Tamise, ne manquaient pas d’épaves propices à cet usage…
    — C’est une trahison ! m’écriai-je. Le traité de capitulation prévoyait notre rapatriement. Il était même question de Rochefort comme port de retour. Comment se fait-il que les Anglais, qui n’ont pas participé à la bataille, s’arrogent le droit d’interpréter ce document à leur manière ?
    — Ils peuvent tout se permettre, tu le sais ! Quant à la date de notre embarquement, nous la saurons seulement le jour même. Le temps, je suppose, d’extraire de la vase quelques vieilles carcasses avariées de Trafalgar et de les mettre en état de nous recevoir. Ça pourra demander du temps…
    Mieux informé que je ne l’étais, il me révéla que Dupont s’était refusé à quitter l’Espagne pour Marseille ou Toulon tant que notre sort ne serait pas réglé. Cette décision était toute à son honneur, mais, le 21 septembre, l’ayant oubliée, il quittait Cadix.
     
    Si notre camp était relativement calme, il n’en allait pas de même au fort Santa Maria de Cadix, où d’autres prisonniers avaient été incarcérés.
    Des milliers d’émeutiers étaient venus assiéger la prison et avaient réussi à y pénétrer. Abandonnés à eux-mêmes pour se défendre, les prisonniers s’étaient armés de tout ce qui leur tombait sous la main, avant que le commandant ne se décidât à faire donner ses gardes. Fait insolite, il se trouva parmi ces excités des moines qui, loin de les inciter au massacre, s’étaient interposés entre eux et les prisonniers. Tous les moines espagnols, contrairement à ce qu’on a dit et écrit, ne sont pas des égorgeurs…
    Un camp de tentes fut envahi de nuit par une marée barbare. Quatorze officiers de dragons et une cinquantaine de soldats furent massacrés. Dans un autre camp, au bord d’une rivière, les brigands avaient assassiné une dizaine de cuirassiers. Non loin de là, quatre compagnies d’infanterie avaient subi le même sort. Maudit soit un pays où l’on assassine les prisonniers de guerre désarmés !
    Une dizaine de pontons avaient été préparés à notre intention et ancrés dans la baie de Cadix, à une portée de fusil les uns des autres, assez près de la côte pour faciliter les liaisons et assez loin pour décourager les évasions. Chacun était gardé par deux chaloupes dotées d’un petit canon et montées par une vingtaine de soldats en armes. Déjà sévère, cette surveillance était assistée, au large de la baie, de quelques navires de guerre.
    C’est dire que toute tentative d’évasion relevait de l’utopie.
     
    Un jour sombre de septembre, sous une pluie battante, encadrés par des forces impressionnantes, nous avons été conduits en colonnes vers le port. J’ignore en vertu de quels critères le tri s’opéra dans une ruine proche du fort Santa Maria, en marge d’une misérable tribu de pêcheurs qui consentirent à nous vendre poissons et crustacés.
    Au matin du troisième jour, le tri terminé, un officier civil de la junte nous annonça que des officiers et des femmes seraient embarqués sur la  Vieille-Castille . Nous fûmes, Auguste Murel et moi, de ce contingent. Une chance ? Nous l’ignorions. Cet ancien navire de ligne, aux flancs larges crevés par des boulets et démâté, présentait le spectacle d’un délabrement dramatique.
    Le sergent du bord, Sanchez, qui n’avait rien d’un officier de marine, nous annonça

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