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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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réputation légendaire : celle de ne pas avoir de fond.
    C’est là que, pour la première fois, j’ai rencontré Juliette, parente d’un minotier de Larche, le village voisin, sur la rive gauche de la Vézère. Elle venait, à cheval, cueillir des orchidées sauvages autour des ruines du château de Cousages et avait fait halte devant le  gour , où j’aidais un de nos fermiers à puiser de l’eau pour arroser son champ de patates. Après que nous eûmes bavardé, je lui avais fait promettre de me rendre visite à Puymège. Elle tint parole. Quelques jours plus tard, elle se présentait avec un panier de cerises. Un an après, elle était devenue mon épouse.
     
    Si je me suis attardé sur mon  gour , c’est que le camp proche de Cadix, où nous attendions les décisions sur notre sort, était occupé en son milieu par un puits datant des Maures. Sa margelle, imposante par son épaisseur et ses dimensions, était striée d’entailles laissées au cours des siècles par le frottement de la corde. Il m’arrivait de me pencher sur le bord de ce gouffre et, comme la pythie de Delphes, d’interroger son eau profonde et sombre comme la nuit.
    Que faisions-nous là et combien de temps allions-nous nous morfondre dans cet endroit sinistre, gardé militairement ? De la colline dominant la ville nous apercevions l’immensité de la rade, où des unités britanniques et des navires français pris lors de la bataille de Trafalgar se trouvaient à l’ancre. Des coups de canon venus du fort San Sébastian saluaient l’arrivée ou le départ d’un bâtiment. Nous suivions de l’œil ceux qui prenaient la mer, jusqu’à ce que la ligne d’horizon les eût effacés.
    Nous recevions parfois la visite, dans de somptueuses calèches, d’autorités de la junte. Elles restaient en lisière quelques minutes, interrogeaient le  teniente  chargé de la garde et consultaient les rapports avant de reprendre la route.
    D’autres visiteurs se présentaient parfois : des  campesinos  conduits par des meneurs endiablés, qui dansaient aux limites du camp en agitant leurs navajas, jurant qu’un jour ils égorgeraient ces  puercos de Franceses  et en feraient de la  salchicha . C’est sans doute ce qu’ils auraient fait sans l’intervention des gardiens qui tentaient de les disperser en tirant des salves en l’air. La nuit, certains de ces monstres s’infiltraient dans notre camp, assommaient quelques-uns de nos hommes ou les égorgeaient et repartaient avec leurs oreilles ou leurs parties génitales. Ces horreurs nous conduisirent à instaurer parmi nous un tour de garde.
    Murel dut en convenir : ce séjour me fut profitable. Le risque de gangrène écarté, ma blessure à la cuisse cicatrisait normalement et, si je m’aidais d’une canne pour marcher, du moins marchais-je.
    Notre camp dépourvu de limites matérielles, il était relativement facile de s’en évader. Beaucoup s’y risquèrent, sans que nous sachions où ils s’étaient rendus ni ce qu’ils étaient devenus. Je fus tenté de faire de même, avec Murel comme compagnon, mais nous y renonçâmes d’un commun accord en raison des dangers.
    Nous trompions notre ennui et notre attente en jouant aux dés, aux quilles, au bouchon, aux cartes et surtout aux échecs, avec des pièces taillées dans du bois. Les réaux échappés aux fouilles me permirent de me procurer auprès des gardiens des cigares, des oranges et du vin, que je partageais avec mon chirurgien.
    L’officier chargé de notre garde me dit un jour :
    — Il va y avoir du nouveau,  amigo . J’ai appris que vous alliez embarquer sans tarder.  Vaya usted con Dios   !
    Il éclata de rire, ce qui me mit la puce à l’oreille. Je lui demandai de préciser cette information. Il me répondit, d’un air faussement sérieux :
    — Tu n’imagines quand même pas,  capit á n ,  que nos amis anglais vont vous laisser repartir pour la France et reprendre les armes ! Reconnais qu’ils n’ont pas tort. Ici, aucune décision importante ne se prend sans leur avis. Depuis qu’ils nous ont battus, nous et vous, à Trafalgar, et qu’on leur a tué leur grand amiral Nelson, ils ne songent qu’à se venger, d’autant qu’ils se croient les maîtres, à l’égal de la junte…
    — Alors ça signifie quoi,  embarquer , si ce n’est pour nous rapatrier ? On va nous envoyer en

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