Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
Vom Netzwerk:
anglais, Lynch, qui faisait montre, non sans une certaine ostentation, de complaisance, ce que les Espagnols voyaient d’un mauvais œil.
     
    Grâce à ma réserve de réaux, je pus me procurer trois paillasses hors d’usage qui sentaient la  posada , ces auberges de bord de route, réputées grouillantes de punaises. Ce n’était pas le cas, et elles avaient l’avantage de nous protéger de l’humidité.
    Madame de Moncheil souffrait d’une migraine qui la torturait au point que ses gémissements nous éveillaient la nuit. Nous nous levions à tour de rôle, Murel et moi, pour lui préparer des tisanes sur un petit réchaud à charbon de bois.
    — Je connais, lui dit Murel, un remède souverain contre votre mal : tremper une main dans de l’eau presque bouillante, la laisser gonfler, provoquer une saignée sur une grosse veine et déposer sur l’incision une pincée d’amadou incandescent. Vous laisserez-vous tenter ?
    — Dieu m’en garde ! s’écria la dame. Je n’accorde aucun crédit à ces thérapeutiques de rustres.
    Un soir, après l’audition d’un choral de Bach, elle me confia qu’elle était en proie à un dilemme. Allons bon !
    — Comment vous expliquer, mon ami, le duel permanent dont je suis la proie, entre des sentiments contradictoires, ceux du cœur et ceux de la raison ? La raison me pousse vers l’Empereur, mais j’ai le cœur meurtri lorsque je songe à la mort du roi et aux émigrés qui rêvent de leur patrie…
    Elle avait rencontré l’Empereur à Bayonne, où elle avait suivi son mari. Elle s’était sentie défaillir lorsqu’il lui avait baisé la main et lui avait fait compliment de son charme. En revanche, son cœur avait été meurtri au spectacle digne de pitié de la famille royale.
    — Comme je vous comprends, madame, lui dis-je, et comme je vous plains…
     
    Une agréable intimité s’était établie entre nous trois. Quand madame de Moncheil m’observait de ses larges yeux légèrement bridés dans un visage à peine marqué par les épreuves, qu’elle me souriait et prenait ma main pour y enlacer ses doigts délicats de harpiste, je me sentais fondre de plaisir.
    L’envie me prenait parfois, lorsque nous nous promenions sur le pont, de la prendre dans mes bras, mais je me méfiais de ces mouvements spontanés qui nous poussent sur la pente glissante des sentiments. La joue, comme la coupe, est si près des lèvres ! Elle avait un fort appétit, alors que je me satisfaisais de peu. Je prélevais dans mon assiette le plus gros de ma ration et le glissais discrètement dans la sienne, ce dont elle me remerciait d’un sourire. Elle me chuchota un jour à l’oreille :
    — Capitaine, vous êtes mon ange gardien…
    Cette amitié équivoque faillit mal tourner et me coûter la vie.
    Les femmes, veuves d’officiers ou de sous-officiers pour la plupart, en petit nombre sur la  Vieille-Castille , étaient d’autant plus sollicitées.
    Un sous-lieutenant de dragons de la division Baste qui avait participé aux opérations de Baylen, Hubert de Bidache, cadet de Gascogne, avait jeté son dévolu sur madame de Moncheil et persistait dans ses avances malgré les rebuffades qu’il en recevait.
    Lorsque je lui demandai d’effectuer une honorable renonciation, il le prit de haut et rétorqua avec un sourire méprisant qu’il avait autant que moi le droit de faire sa cour à cette jolie veuve. Il poursuivit ses assiduités avec de moins en moins de discrétion. Un soir où il lui avait volé un baiser, elle l’avait giflé avec son éventail.
    — Bidache, lui dis-je, vous allez trop loin. Si vous ne cessez votre manège, vous aurez à me rendre des comptes.
    — Serait-ce une provocation, Puymège ?
    — Prenez-le comme vous l’entendez.
    Il répliqua, en caressant ses moustaches de dragon :
    — Eh bien, soit ! Je suis votre homme. Il y a longtemps que je n’ai pas eu le plaisir de me battre en duel. Ça me manquait. Votre jour et votre heure, je vous prie…
    — Demain, à dix heures de la nuit, sous le gaillard arrière.
     
    J’eusse aimé que nous vidions cette querelle discrètement, mais il se fit tant de battage autour de ce duel, comme pour un spectacle, qu’à l’heure dite il y avait foule. Bidache avait même demandé à Sanchez de faire allumer des pots à feu pour donner plus de solennité à cette exhibition.
    Nous

Weitere Kostenlose Bücher