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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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n’avions gardé que notre cotte et notre chemise. Il avait emprunté l’épée de Sanchez et moi celle qu’Auguste Murel avait eu la permission de garder.
    D’emblée, je constatai que je n’avais pas affaire à un débutant. Ce Gascon avait plus d’un tour dans son sac, si bien que je devais, avant même de passer à l’attaque, tenter de les déjouer. Il se livrait à des fantaisies pour montrer sa virtuosité, alors que je me cantonnais dans le style classique hérité de mes maîtres de Toulouse, qui n’étaient pas des manchots.
    À plusieurs reprises, je crus ma dernière heure venue, plus apte que j’étais au sabre qu’à l’épée, mais il ne poussait pas à fond ses assauts, comme pour démontrer qu’il s’amusait de moi.
    Lorsque, las de cette parodie et décidé à faire preuve à mon tour de maîtrise, je le contraignis à la reculade, il éclata d’un rire méprisant. Il changea de ton lorsque je l’eus contraint à reculer à nouveau et que sa culotte s’enflamma contre un pot à feu. Il se mit à hurler et à vomir des insanités, avec d’autant plus de violence que les rieurs, après s’être moqués de ma patte folle, s’étaient rangés de mon côté. Je laissai Bidache se démener pour éteindre le feu qui lui avait roussi les poils des jambes, puis, profitant de son désarroi, je le chargeai et sabrai la main qui tenait son épée. Il la laissa choir en poussant un juron et dut s’avouer vaincu.
    Tandis que Murel s’empressait à soigner la blessure, qui n’était guère profonde, des ovations éclataient autour de nous. On m’offrit un verre de jerez, que j’avalai d’un trait. J’étais occupé à me rhabiller car la soirée était fraîche, quand je vis mon adversaire s’avancer vers moi, me tendre sa main valide et m’inviter à trinquer.
    Dans l’espoir d’une victoire facile, il avait bien fait les choses et s’était procuré, auprès du subrécargue de Moreno, de quoi fêter son triomphe. Ce soir-là, traité en héros, je sombrai dans la plus mémorable ivresse de ma carrière.
     
    Malgré notre situation relativement confortable comparée à celle de nos voisins, l’absence de nouvelles et l’inquiétude qui pesait sur notre sort étaient de jour en jour plus difficiles à supporter. Nous devenions irritables et prenions feu à la moindre peccadille.
    Sur le  Terrible , le traitement des prisonniers avait empiré. Privés de nourriture et d’eau pendant près d’une semaine, ils s’étaient révoltés, tuant un de leurs gardes. Il avait fallu faire appel à des soldats pour réprimer la mutinerie.
    La mortalité sur ces bagnes flottants était effrayante. Chaque jour on entassait les morts dans une barque pour les ramener à terre, à croire que les autorités espagnoles (ou anglaises) avaient décidé de se débarrasser de ces bouches inutiles en les laissant mourir à petit feu dans leur crasse et leur vermine. Sanchez nous assura qu’il y avait eu, sur certaines unités, des cas de cannibalisme, ce qui semble difficile à croire.
    Adolphe Marbot ayant protesté contre la qualité du pain, qui s’était gâté, Sanchez menaça de nous faire transférer sur le  Terrible , ce qui mit fin dans l’instant à nos récriminations.
     
    Un matin de mars, nous eûmes la surprise d’être accostés par une barque chargée d’un groupe de filles en tenue d’Andalouses, jouant des castagnettes et du tambourin et chantant d’une voix criarde pour nous aguicher. Elles nous lançaient des oranges qui pour la plupart retombaient dans la mer, et s’écriaient :
    — Venez, petits Français ! Mon lit est prêt ! Pour toi ce sera gratuit !
    Elles cessèrent soudain leurs simagrées pour se retirer et faire place à quelques gaillards armés d’espingoles qui, au lieu d’oranges, nous inondèrent de pruneaux qui firent quelques blessés parmi les spectateurs alignés contre la rambarde. Les soldats de la chaloupe de surveillance qui venait d’arriver, attirés par le charivari, attendirent la fin de la fusillade pour demander aux occupants de la barque de vider les lieux.
    Marbot s’empressa d’adresser au gouverneur de Cadix une protestation, qui n’eut d’autre écho que le mépris.
    Certains parmi nous envisageaient une évasion, mais cela paraissait impossible, la  Vieille-Castille  étant surveillée nuit et jour. Tenter de tromper la vigilance de

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