Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
Vom Netzwerk:
nos gardiens nous aurait exposés au feu des navires anglais ancrés à l’entrée de la rade.
    Un des nôtres s’y risqua : le vice-amiral baron Grivel. Ce n’était pas un inconnu pour moi. Ayant appris que nous étions, Marbot et moi, ses voisins de Corrèze – il était natif de Brive –, il venait parfois s’entretenir du pays avec nous. Homme lent et lourd mais plein de détermination pour tous les actes de sa vie, il imposait par son autorité naturelle et ses connaissances de la mer.
    À titre d’aspirant, il avait participé à la campagne d’Égypte sur la  Badine  et, sur cette même unité, avait pris la route d’Amérique. Plus tard, lieutenant de vaisseau, il s’était battu, avec les marins de la Garde, en Prusse, en Pologne, devant Dantzig… Il avait été fait prisonnier à la bataille de Baylen.
    Un soir, alors que nous disputions une partie de boston, un jeu qu’il avait appris en Amérique, il me glissa à l’oreille :
    — Puymège, accepterais-tu de nous suivre ?
    Je crus qu’il plaisantait et répondis :
    — Vous suivre ? Pour une promenade en mer, peut-être ? Je suis d’accord, mais il faudra l’autorisation de Sanchez.
    — Une promenade ? Si tu veux, mais avec des risques.
    — Tu veux dire… une évasion ?
    — Exactement. La chose est possible. Avec les amis que tu vois autour de nous, j’ai étudié cette éventualité. L’affaire est en train. Nous n’avons qu’une chance sur dix de réussir, mais nous sommes prêts à affronter tous les dangers plutôt que de crever comme des rats dans cette carcasse pourrie. Réfléchis. Nous serons une quarantaine, triés sur le volet, et pas des mauviettes ou des poltrons. Des partenaires de haute tige, si tu vois ce que je veux dire…
    Il me confia que cette idée lui était venue lors de la visite d’un délégué de la junte qui nous avait laissés entendre que nous pourrions bien être transférés aux îles Canaries où nous risquions de finir nos jours, comme dans le bagne de Sinnamary, en Guyane, d’où l’on ne revient jamais.
    Grivel et ses amis avaient prévu d’être seulement une quarantaine à tenter leur chance car un plus grand nombre, au moment d’embarquer, eût créé un encombrement à la coupée et du raffut. J’aurais aimé en savoir plus, et surtout quelle embarcation ils avaient l’intention de se procurer, et comment. Là, je me heurtai à son silence. Je serais, me dit-il, informé plus tard. Il me demanda de ne parler à personne de son projet, et surtout pas à la « dame de mon cœur ».
    — Nous savons tous, Puymège, que nos compagnes ne savent pas garder un secret…
    Les jours défilaient, de plus en plus longs, de plus en plus lourds. Lorsque je croisais Grivel, il me faisait un signe discret de connivence.
    Les distractions ne manquaient pas à bord de la  Vieille-Cast i lle , mais ce n’était qu’une parade destinée à nous faire oublier notre condition.
    Nous avions dans notre cambuse un jeune sergent, élève du peintre Louis David, qui se flattait d’avoir participé à la réalisation de quelques grandes toiles du maître. Joseph – je ne me souviens que de son prénom – avait surtout un talent de portraitiste. Il l’exerça, au crayon, sur certains d’entre nous, les dames de préférence, moyennant une obole. Sa renommée s’étant répandue dans Cadix, des bourgeois montèrent à bord pour se faire portraiturer, mais à un tarif supérieur au nôtre.
    La chorale s’était améliorée, de nouveaux éléments s’y étant incorporés, ce qui avait permis de faire un choix. Écouter ces voix d’hommes et de femmes sur le pont, alors que la brise nocturne portait jusqu’à nous des parfums d’orangers et de citronniers, la tête d’Édith contre mon épaule, ses mains nouées aux miennes, était un moment d’une rare émotion.
    À chaque visite de l’aumônier, don Tadeo, c’était un autre genre de spectacle.
    Tel un Jean des Entomeures tout droit sorti d’un roman de Rabelais, il nous apportait, en guise de consolation, un répertoire d’apostrophes sarcastiques, de menaces prophétiques, de sermons chargés de haine comme un tromblon de poudre noire. Quand il tirait son crucifix de sa ceinture, on avait l’impression qu’il allait nous agresser avec la navaja qu’il portait également sur le côté.
    Ce religieux plus proche

Weitere Kostenlose Bücher