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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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l’arrière.
    — C’est vrai qu’il est dangereux de monter trop vite à l’attaque.
    — Vous aussi, parfois, vous mettez pied à terre avant les assauts, mon capitaine.
    — Oui, mais c’est pour faire corps avec les hommes de ma compagnie. Ensuite, vu ce qu’on marche en Russie, je voulais être sûr de conserver ma monture. Et enfin, j’y suis allé, moi, dans la Grande Redoute. Deux fois. Et j’ai même failli y rester.
    Lefine se frottait le visage avec un mouchoir sans parvenir à le nettoyer.
    — Le colonel Barguelot aussi s’est retrouvé dans la redoute. Il est juste arrivé un peu en retard, quand tout était fini.
    — Son uniforme resplendissait...
    — Il a contourné la redoute et il est entré par la gorge, c’était moins salissant. Mais il a quand même failli se faire tuer.
    — Vraiment ? Il a attrapé une mauvaise fièvre ?
    — Il boitillait loin derrière son régiment, entouré par une dizaine de soldats – dont notre espion –, lorsqu’un officier russe qui faisait le mort s’est relevé et l’a attaqué au sabre. Barguelot a si mal paré cet assaut avec son épée que, sans la promptitude de l’un de ses hommes qui a stoppé net le Russe en l’embrochant, son coeur aurait goûté du métal.
    — Donc son titre de « maître d’escrime » n’est qu’une imposture de plus. Excellent travail, Fernand.
    Les deux hommes ne se pressèrent pas pour rejoindre leur compagnie. Ils savaient qu’il était l’heure de compter les morts. Dans chaque régiment, on pensait à ceux que l’on avait perdus ou qui balançaient entre la vie et la mort. Le 84 e était resté en deuxième ligne et avait donc peu souffert. Mais d’autres régiments avaient subi des pertes invraisemblables. Parmi les connaissances de Margont, l’artilleur Vanisseau était mort. Il imitait les oiseaux et arrivait à attirer les canards. Parouen avait eu les deux jambes brisées par un boulet. On l’avait surnommé « le Brochet » parce qu’il se baignait dans toutes les étendues d’eau qu’il apercevait et parce qu’il vous échangeait n’importe quoi contre un poisson grillé. Partiteau avait fini non loin de la redoute, criblé de coups de baïonnette comme une pelote d’épingles. Ah, Partiteau ! « Bête comme Partiteau », « idiot comme un Partiteau », « Partiteau, tête de moineau ». Il n’y avait pas plus niais que lui et l’armée, avec son sens de l’humour habituel, l’avait placé dans le génie. Pourtant, quand vous lui citiez une date au hasard, même dix années en arrière, il vous disait immédiatement si c’était un lundi ou un jeudi et vous citait les titres des journaux – auxquels, bien sûr, il ne comprenait rien. Agelle agonisait dans un hôpital, avec plus de plomb dans l’estomac que dans une cartouchière. Il passait ses soirées à écrire à sa Suzanne des lettres illisibles tant elles étaient truffées de fautes. De toute façon, sa fiancée ne savait pas lire. Zaqueron était mort écrasé sous le cadavre du cheval d’un hussard russe. Il cuisinait si bien que l’Empereur avait un jour fait un détour de six lieues pour venir se régaler dans son auberge. Noyet avait été mis en pièces par un obus. Il parlait tout le temps, même quand on lui tapait dessus pour le faire taire et même, parfois, dans son sommeil. On commençait déjà à regretter ses interminables jacasseries. Il manquait aussi Rabut. Ah, Rabut ! Le doyen du 9 e . On l’avait surnommé « C’est des conneries ». Le vieux sergent-major qu’il était semblait avoir fait toutes les guerres napoléoniennes, toutes celles de la République et également deux ou trois du vieux temps du Roy. Quand il lisait les bulletins de la Grande Armée, il s’exclamait immanquablement : « C’est des conneries ! C’est des conneries ! Je le sais, j’y étais, nom de merde ! » Et le voici finalement mort. On disait qu’il avait fallu pas moins de trois Pavlov pour en venir à bout. Droustic, dit « le Bavarois », avait été sabré. Personne ne savait d’où lui venait son surnom et il se mettait en colère quand on lui posait la question. Sapois attendait qu’un chirurgien soit libre pour être amputé. Il avait vu rouler un boulet et avait voulu l’arrêter pour s’amuser. Pied brisé. L’accident bête du soldat inexpérimenté. Mardet, du 8 e léger, venait de rendre l’âme, vidé de son sang par une balle dans le bras qui avait touché « là où y

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