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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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agrippant ces branches qui cèdent, atterrit dans cette flaque, marche vers le bois... Mais à partir de là, on n’y comprend plus rien à cause de toutes ces empreintes : les pas de ceux qui le poursuivaient, de ceux qui ont emporté la sentinelle, des curieux, des promeneurs...
    — Ces bougres d’ânes ont piétiné notre seul indice, les traces de pas !
    Le regard de Margont s’illumina.
    — Ils ne les ont pas toutes fait disparaître : la flaque ! Personne ne s’amuse à patauger pour le seul plaisir d’abîmer ses chaussures.
    Il fixait l’étendue d’eau boueuse qui encerclait le tronc et ses racines.
    — Va me chercher des grenadiers pour écoper. Sans marcher dans la flaque, surtout !
    Lefine, qui ne supportait pas qu’on le prenne de haut (sauf si cela pouvait lui rapporter quelque chose), détestait les soldats de la Garde italienne et leur morgue de prétoriens. Un sourire sadique déforma ses traits.
    — Comme ils ne parlent pas un mot de français, avec un peu de chance, ils vont croire que vous leur donnez l’ordre de boire la flaque.
    — Si tu te livres à ce genre de jeu, crois-moi, je te ferai trinquer avec eux.
    — J’ai presque envie d’accepter quand même.
    — Trouve un cordonnier et fais faire une semelle et un moulage de cette empreinte. Et débrouille-toi pour savoir à quel régiment appartenait la sentinelle qui a été assassinée. Rendez-vous à Tresno à six heures, dans l’auberge à l’entrée du village. Nous avons progressé, conclut-il en se frottant les mains.
    — D’un pas, précisa Lefine.
    *
*   *
    Margont interrogea les servantes de Maroveski, mais Maria ne s’était pas confiée au sujet de son « prince charmant ». Après avoir fait la queue devant une gargote pour acheter à un prix de voleur tout juste bon pour la potence une saucisse et un morceau de pain noir, il quitta Tresno. Il chevaucha dans la campagne, traversant tantôt des bois de conifères, tantôt des plaines. Il croisa une interminable colonne de chariots et de fourgons destinée au ravitaillement et qui avait déjà pris du retard avant même le début des hostilités. À force de demander son chemin, il finit par arriver dans un village au nom imprononçable, grosse poignée de petites maisons en bois disséminées de part et d’autre d’une rivière pratiquement asséchée. Aucun Polonais dans les champs ou dans les vergers. Ici aussi, une foule de soldats et d’habitants se livraient à maintes transactions dans les rues. Margont arrêta un voltigeur, ces tireurs habiles et malins qui avançaient en tête des troupes et se faisaient un plaisir d’abattre à grande distance les officiers ennemis. L’homme transportait deux cages si pleines de poules que des têtes, des ailes et des pattes dépassaient de tous les côtés entre les barreaux. Les pauvres créatures piaillaient de détresse, mais n’obtenaient en retour que des regards affamés de la part des passants.
    — Savez-vous où se trouve le médecin-major Brémond ?
    — Y fait un hôpital. C’est la grande baraque là-bas, mon capitaine.
    Margont aperçut des dizaines de soldats occupés à aménager une grange.
    — C’est gentil de faire ça pour nous, mais si on se canarde avec les Russes, on se retrouvera tous là-bas et on sera encore plus entassés que mes poulets.
    Margont confia son cheval à des soldats qui, torse nu, abattaient des arbres à la hache, et gagna la bâtisse. On avait recouvert de paille le rez-de-chaussée et l’étage. Elle servirait de matelas pour les blessés et absorberait le sang. Partout on entendait des coups de marteau ou des scies ronger le bois. Margont avait l’impression que l’on montait la scène d’un horrible théâtre sur laquelle s’affronteraient la Vie et la Mort. La représentation durerait des mois, faisant salle comble chaque jour.
    Les idées humanistes de la Révolution avaient fortement amélioré le Service de santé des armées. Ce courant de pensée avait bénéficié de l’expérience des innombrables batailles qu’avaient livrées la France révolutionnaire puis la France impériale. Il fallait également louer le génie de certains hommes tels que, entre autres, Larrey et ses « ambulances volantes », véhicules bien équipés et conçus pour atténuer la transmission des cahots de la route aux transportés, Parmentier et ses recherches sur le menu du soldat, car une nutrition correcte prévenait bien des maladies, Desgenette et

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