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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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d’avoir suivi la procédure.
    Brémond se retourna et, les mains dans le dos, déclara de but en blanc :
    — Très bien, messieurs, nous vous comprenons. Vous avez vos procédures et nous, nous avons les nôtres. Capitaine Ladoyère, je vous fais placer immédiatement, vous et tous vos hommes, en quarantaine.
    Les bajoues de Ladoyère s’affaissèrent un peu plus. Le lieutenant qui lui servait de bras droit et les deux autres soldats présents dans la salle blêmirent dans le même temps.
    — Je vous demande pardon, monsieur le médecin-major ?
    — Il se peut que cette femme ait été atteinte du typhus.
    Le typhus ! Quatorze mille morts en 1796 rien que dans les hôpitaux de Nice. Et bien plus encore durant les campagnes, mais ce sujet-là était tabou. Ladoyère restait pétrifié.
    — Comme je ne peux pas l’examiner pour confirmer ou infirmer ce diagnostic, poursuivit Brémond, je me dois d’envisager le pire et d’appliquer les mesures les plus strictes. Je vous fais donc tous installer dans un hôpital réservé aux gens suspectés d’avoir été contaminés.
    Ladoyère remua sur sa chaise.
    — Mais... Mais si cette femme n’était pas malade du typhus, je risque d’être contaminé dans votre hôpital alors que je n’avais rien à y faire.
    Margont hocha la tête.
    — C’est exact. Mais nous aurons tous les deux la satisfaction d’avoir suivi la procédure.
    Le visage de Ladoyère se décomposait comme s’il anticipait déjà une mort devenue inéluctable.
    — Elle n’avait sûrement pas le typhus... ce n’est pas possible.
    Mais Brémond avait repris son air distrait. Au grand dam de son interlocuteur, il gagna la porte d’un pas tranquille. Ladoyère se leva et contourna son bureau, prêt à courir après le médecin dans la rue s’il le fallait.
    — D’accord, d’accord ! Exhumez le corps, je ne suis qu’un petit capitaine, j’obéis aux ordres du général Triaire et aux ordres du service de santé des armées.
    Si vous voulez bien me mettre tout ce que vous venez de dire par écrit...
    Brémond et Margont signèrent leur mensonge et gagnèrent le cimetière, réquisitionnant en chemin trois soldats et des pelles. Le cimetière de Tresno se situait à l’écart du village, au sommet d’une colline. Un bosquet dissimulait sa sombre présence aux habitants. Les tombes étaient entretenues et fleuries.
    — Je n’aime pas beaucoup perturber le repos des morts, murmura Brémond.
    — Moi non plus, mais il faut bien exhumer ce corps si l’on veut pouvoir enterrer cette histoire.
    L’un des soldats choisi dans la rue était polonais. Il jeta sa pelle à l’instant même où il comprit ce que l’on attendait de lui. Margont n’insista pas, mais lui ordonna de rester. Tandis que les Français lançaient derrière eux de grandes pelletées de terre, un bûcheron à la barbe foisonnante accompagné de deux adolescents jaillit d’un bosquet. Tous trois avaient leurs cognées à la main. Instinctivement, le soldat polonais rapprocha de lui, du bout du pied, son fusil qui traînait à terre. L’intrus se mit à parler. Ses exclamations agressives faisaient cligner des yeux ses fils.
    — Qu’est-ce qu’il raconte ? demanda Margont.
    Le fantassin avait maintenant empoigné son fusil.
    — Il dit que les Français sont des païens qui ont tué leurs prêtres, que la Révolution a détruit les églises, que Napoléon est l’Antéchrist et que chacune de ses armées est l’une des têtes du dragon de l’Apocalypse.
    — Et qu’est-ce qu’il dit encore ?
    — Sauf votre respect, mon capitaine, il pense que vous déterrez cette pauvre femme pour faire des choses avec elle.
    — Charmant.
    Enfin, les tranchants des pelles vinrent buter contre le couvercle. Margont essuya la sueur de son visage et indiqua du menton une bâtisse proche.
    — On va transporter le cercueil jusqu’à cette grange. Seuls le médecin-major et moi-même examinerons cette personne. Vous nous attendrez à proximité. Et empêchez l’autre illuminé de s’approcher. Je ne veux pas qu’il essaie de voir si un Français est aussi solide qu’un tronc de sapin.
    L’endroit était vide. Margont apprécia l’odeur de la paille, pas en raison d’une quelconque nostalgie, mais parce qu’elle couvrirait au moins partiellement les émanations du cadavre. Brémond semblait aussi réticent que lui et déclara :
    — Mieux vaut commencer tout de suite. L’attente est parfois pire que

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