Les proies de l'officier
Percy, qui luttaient contre les infections et les épidémies en améliorant les conditions d’hygiène... Enfin, les techniques chirurgicales avaient été adaptées à l’urgence et au manque relatif de moyens lors des interventions réalisées dans le sillage de l’armée quand ce n’était pas sur le champ de bataille lui-même. La qualité des soins avait donc progressé considérablement malgré la lenteur administrative et les décisions insensées prises parfois par le gouvernement impérial. Ainsi, en 1810, pensant que la paix était acquise, ce dernier avait licencié un nombre considérable d’officiers de santé... pour faire des économies. Cette erreur fut mal corrigée, car on se montra peu regardant sur la qualité de la formation. Certains individus servaient à présent comme chirurgiens sous-aides après avoir étudié la médecine durant quelques mois seulement. Percy les surnommait les « chirurgiens de pacotille ».
Margont était fasciné par la médecine. Il ne se lassait pas de questionner tous les praticiens qu’il rencontrait. Brémond lui avait expliqué un jour les différents types d’hôpitaux que nécessitait une armée en guerre. Juste à côté du champ de bataille, on trouvait les hôpitaux ambulants. Il s’agissait souvent d’une bâtisse réquisitionnée que l’on avait eu plus ou moins le temps d’aménager. Les blessés les plus graves y recevaient les premiers soins. Ceux qui avaient été touchés plus légèrement et qui pouvaient attendre quelques heures sans voir leur état s’aggraver étaient évacués sur les hôpitaux temporaires. Les hôpitaux ambulants disposaient d’un grand nombre d’ambulances pour pouvoir amener les blessés du champ de bataille à l’hôpital ambulant ou de l’hôpital ambulant aux hôpitaux temporaires. Les hôpitaux temporaires étaient situés en deuxième ligne. Ils se trouvaient donc à l’abri des boulets et risquaient moins, à la suite d’un revers des troupes, de se retrouver encerclés par l’ennemi. Enfin venaient les hôpitaux de l’arrière qui recevaient les convalescents justifiant d’une surveillance médicale. Ces derniers étaient le plus souvent de véritables hôpitaux situés dans les villes les plus proches.
Margont aperçut enfin Brémond qui s’adressait à une petite assemblée de chirurgiens sous-aides. Le médecin-major avait des cheveux châtain clair tirant sur le roux et des favoris qui descendaient jusqu’au menton. Ses sourcils, longs, fins et très arqués, accentuaient le regard perçant de ses yeux bleus. Il mettait un point d’honneur à toujours se vêtir de façon impeccable et avait souvent fait des réflexions à Margont au sujet de chaussures mal cirées ou d’un col mal ajusté. En réalité, la veste du médecin-major n’était pas tout à fait réglementaire, mais il fallait être observateur pour remarquer que le dernier bouton de la rangée de droite était différent des autres. Celui-ci n’avait été en vigueur que de 1796 à 1798 et arborait la mention « Hôpitaux militaires » ainsi qu’un bonnet phrygien surplombant le mot « Humanité ».
Margont se joignit à l’assistance sans que Brémond, emporté par son discours, le remarque.
— Dans les hôpitaux, sachez que le sang prime sur le grade. On ne soigne pas du plus gradé au moins gradé, cette philosophie n’a pas cours chez nous, mais du plus urgent au moins urgent. Il convient maintenant que je vous parle de la science ô combien difficile et pénible du triage. Imaginons que l’on m’amène trois blessés en même temps. Le premier a eu la jambe pratiquement arrachée par un boulet. Le deuxième a été déchiqueté par la mitraille et présente une douzaine de fractures multiples. Le troisième a reçu une balle dans la cuisse – l’os et l’artère fémorale ne sont pas touchés – et exige en hurlant qu’on le soigne sur-le-champ. Si j’opère tout d’abord le troisième, je le sauve. Mais quand j’ai fini, les deux autres sont morts. Si je commence par m’occuper du deuxième, il meurt de toute façon, car il est irrémédiablement perdu. Quand j’ai fini, le premier est mort et le troisième attend mon aide. Si je commence par le premier, je le sauve. Puis je soigne le troisième que je sauve aussi. Seul le deuxième périt. Conclusion : selon l’ordre dans lequel je soigne mes trois blessés, soit je n’en sauve qu’un, soit j’en sauve deux. J’entends donc vous apprendre
Weitere Kostenlose Bücher