Les proies de l'officier
que le médecin de ce régiment, avant de gagner le 9 e de ligne.
Le colonel Barguelot chevauchait en tête de son régiment, entouré par trois capitaines et trois chefs de bataillon avec lesquels il discutait gaiement. Ses cheveux châtain clair étaient légèrement bouclés, son visage grand, presque massif, et son nez long, mais aplati au sommet, comme si celui-ci s’appuyait en permanence contre une vitre invisible. Des favoris soigneusement taillés isolaient ses oreilles. Lorsqu’il se taisait, ses lèvres reformaient automatiquement un sourire satisfait. Margont arrêta son cheval, salua, se présenta et tendit la lettre du médecin-major Brémond. Le colonel Barguelot la parcourut d’un air distrait.
— Le typhus ? Ah oui, bien sûr.
Son uniforme était peu maculé de poussière car, régulièrement, il l’époussetait de la main d’un air attentif. De même, il caressait ses épaulettes dorées et sa croix d’officier de la Légion d’honneur. Lorsqu’il rendit le document, il semblait narquois.
— Et qu’envisage de faire le médecin-major Brémond ?
— Il souhaite se faire une idée précise de la situation, mon colonel. Il pense également que l’on pourrait améliorer la prévention...
Le colonel l’interrompit d’un geste las.
— Eh bien faites : améliorez, améliorez.
— Pouvez-vous m’indiquer combien...
— Voyez cela avec le médecin du régiment.
L’entretien était visiblement sur le point de se clore.
— Mon colonel, vous devez vous demander pourquoi j’ai été chargé de recueillir ces renseignements alors que je n’appartiens pas au service de santé des armées.
— Non, je ne me suis pas posé la question.
L’explication de Margont selon laquelle il avait survécu au typhus grâce au médecin-major Brémond demeura au fond du puits de mensonges qu’il avait creusé depuis le début de cette enquête. Le colonel avait tourné la tête vers l’un des chefs de bataillon. Margont n’existait déjà plus dans son esprit. Ce dernier, considérant cette petite cour d’officiers qui entourait Barguelot et riait à la moindre de ses plaisanteries, déclara :
— J’ignorais que vous aussi aviez été promu officier de la Légion d’honneur, mon colonel.
Barguelot fixa à nouveau Margont. Cette fois, avec acuité.
— J’étais capitaine au 16 e léger lors de la bataille d’Iéna. Ce sont mon régiment et le 14 e de ligne qui rétablirent la situation sur le flanc gauche, dans la matinée. Ensuite, Jouardet, mon chef de bataillon, ayant pris le commandement du régiment après la blessure du colonel Harispe, me confia son bataillon. Mes hommes et moi étions en tête du 16 e léger et nous étions même devant le 105 e , qui donna l’assaut avec nous. Nous balayâmes les bataillons Hahn et Sack et nous prîmes la batterie Glasenapp tout entière ! Quatorze beaux canons que nous retournâmes contre l’ennemi.
Et le colonel Barguelot poursuivit son récit, le détaillant à outrance, décrivant les effets dévastateurs des canons pris aux Prussiens ou racontant comment il avait sauvé la vie du colonel Habert, du 105 e . 13 s’écoutait avec un plaisir jubilatoire. Les officiers qui l’accompagnaient avaient l’air de boire ses paroles alors qu’ils avaient dû entendre ce récit à foison. Enfin, les derniers Prussiens se rendirent, Barguelot reçut sa distinction et la tirade s’acheva.
— Mais vous disiez « vous aussi » au sujet de ma décoration. À qui faisiez-vous allusion ? conclut-il.
— À moi-même, mon colonel. J’ai été promu officier de la Légion d’honneur en Espagne.
La brièveté de cette annonce décontenança quelque peu Barguelot. Comment pouvait-on résister au plaisir d’évoquer ses faits d’armes ? Margont réalisa que l’eau de Cologne du colonel – dont il n’était pas avare – lui était familière. Saber dépensait des fortunes pour s’en procurer car l’Empereur l’utilisait parfois. Barguelot opina de la tête tel un maquignon qui repère un bon cheval.
— Eh bien je vous félicite, capitaine. C’est toujours un honneur de rencontrer un homme de grande valeur.
Cette phrase avait le mérite de permettre à Barguelot de récolter autant de lauriers qu’il en distribuait. Le colonel tendit la main à Margont qui, un peu surpris tendit la sienne avec retard.
— Capitaine Margont, j’ai convié à dîner demain soir quelques officiers de mon régiment. Soyez donc des
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