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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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miser sur sa supériorité technique. Le cosaque suivit le même cheminement de pensée et tourna bride. Les cosaques s’éparpillaient maintenant dans toutes les directions, comme des pigeons s’envolant au moment où un enfant se jette au milieu d’eux. La forêt, tel un buvard, les absorba aussitôt. Trois des leurs jonchaient la clairière. Quatre fantassins et un chasseur avaient également péri. Un grenadier, à quatre pattes dans le ruisseau, vomissait du sang. Le sergent en soutenait un autre dans la cuisse duquel était encore fichée la pointe d’une lance. Le lieutenant des chasseurs se pressait le front pour tenter de calmer une hémorragie qui lui noyait les yeux. Margont fut surpris par l’attitude des cosaques : aussitôt apparus, aussitôt disparus. Ils avaient l’avantage du nombre, le galop de leurs chevaux et leurs maudites lances. Pourquoi ne pas avoir persisté ? Pourquoi avoir interrompu un combat qui se serait probablement terminé par l’extermination de tous les Français ? Visiblement, leur but était de harceler. L’effet de surprise avait limité leurs pertes : insister leur aurait coûté plus cher. Ils préféraient les coups de main aux actions prolongées. Margont essaya de se remonter le moral avec cette pensée : lors d’un assaut mené par des cosaques, le temps jouait en faveur des assaillis. Le lieutenant le rejoignit au trot. Le pauvre homme appliquait sa manche contre son front. Son visage, maculé de rouge, le faisait ressembler à un écorché vif.
    — Mon capitaine, acceptez-vous de vous joindre à nous pour aller pourchasser ces bâtards ?
    — Ils étaient une quinzaine de mon côté. Combien y en avait-il en tout ?
    — Deux groupes d’une quinzaine de fils de chiens.
    — Et vous voulez que nous les prenions en chasse à nous cinq ?
    — Ils se sont dispersés. J’espère surprendre un petit groupe isolé qui...
    Margont secoua la tête.
    — Si vous vous lancez à leurs trousses et qu’ils décident de faire face, ils se regrouperont instantanément. S’ils préfèrent fuir, ils s’égailleront dans toutes les directions.
    Le lieutenant ôta sa manche de sa blessure, mais dut aussitôt la plaquer à nouveau.
    — Si je puis me permettre de disposer, mon capitaine.
    Margont eut un geste d’impatience.
    — Allez-y ! Allez les charger puisque vous n’en avez pas pris assez dans la gueule !
    Le chasseur rejoignit ses hommes qu’il entraîna dans les bois, sabre au clair.
    *
*   *
    Lorsque Margont retrouva son régiment, il n’avait pas encore fini de se maudire. Sa vie aurait pu s’achever bêtement dans une clairière perdue au coeur du grand nulle part des immensités russes. Malgré sa frayeur, son esprit se mettait en ébullition. Quatre suspects ! Pourquoi la nuit était-elle déjà là ? Pourquoi allait-il falloir perdre son temps à dormir quand il y avait enfin tant de choses à faire ? Le 84 e avait installé son campement dans une plaine boueuse. Des soldats dormaient déjà, enroulés dans de mauvaises couvertures et tassés les uns contre les autres à la belle étoile. Ici ou là, on montait des tentes ou on amassait du bois mort pour se chauffer et faire cuire un bouillon si clair que c’en était déprimant. Margont attacha Nocturne à un piquet. Les côtes de la bête saillaient sous la peau et son aspect décharné contrastait avec son ventre ballonné par les gaz. Il lui caressa longuement l’encolure. Puis il le prit par la bride et le conduisit jusqu’à un bois où il le libéra. Margont voulait lui laisser une chance de survivre ou, au moins, lui permettre de mourir tranquillement. Nocturne le contempla un long moment sans bouger avant de s’éloigner pour disparaître dans l’obscurité. Lorsque Margont rejoignit Lefine, Saber et Piquebois, ces derniers faisaient rôtir un poulet. Ils n’avaient pas trop de tous leurs galons et épaulettes réunis pour maintenir à distance les spectres affamés qui s’agglutinaient autour d’eux.
    — Belle prise, qui faut-il remercier ? lança joyeusement Margont.
    Lefine inclina la tête. Margont arracha une cuisse au volatile.
    — Tout à l’heure, un soldat m’a demandé à combien de jours nous nous trouvions de Moscou. « Quatre ? Cinq ? Plus ? Z’êtes sûr ? » m’a-t-il dit. Si les fantassins avaient des cartes, les désertions tripleraient et il faudrait faire le coup de feu pour défendre ce repas. Je ne m’attarde pas, car j’ai encore à

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