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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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conclut Eugène. Mais parfait pour vous changer les idées. À tel point que j’ai murmuré à Triaire qu’encore une ou deux soirées comme celle-ci et j’ignorais si le comte obtiendrait le commandement du 5 e corps, mais moi, je lui offrirais avec plaisir celui du 4 e . La comtesse m’apparut plutôt sympathique en ce sens qu’elle savait s’arrêter juste avant de dépasser les bornes. C’est une qualité si rare chez les courtisans... Elle me vanta donc son mari – qui sert dans le corps polonais –, mais s’interrompit avant que mon agacement ne devienne visible. Elle avait une curieuse manie : elle s’absentait toutes les heures pour revenir exhiber une nouvelle robe et d’autres bijoux et ce, selon un crescendo dans l’exorbitant. C’est exactement ça ! Avec son collier de saphirs roses, son diamant Champagne...
    Le prince avait haussé la voix. Il exprimait une tension triste. Il semblait pris dans l’une de ces révoltes impossibles durant lesquelles on souhaite changer le passé.
    — Si la comtesse Nergiss n’avait pas été aussi obsédée par le luxe, tout se serait déroulé différemment et une demoiselle que j’estimais serait toujours en vie. Bref, la soirée se poursuivait agréablement, ponctuée par les folies dispendieuses de notre hôtesse : verres en cristal ciselé qu’elle invitait joyeusement à jeter en l’air dès qu’on les avait vidés, partie de chasse...
    — Mais il faisait nuit...
    — Croyez-vous que ce fût un problème pour la comtesse ? Elle avait criblé l’un de ses bois de lanternes, le fit encercler par des rabatteurs et des gardes-chasses lâchèrent des daims. Je reconnais que l’on tua beaucoup plus de lanternes que de daims. Quand le bois commença à prendre feu à cause de l’huile des lampes touchées par les balles, la comtesse déclara que cela n’avait pas d’importance. Ce jeu stupide cessa tout de même et le début d’incendie fut maîtrisé. La comtesse Nergiss fit ensuite défiler les cent vingt chevaux de son haras avant de m’offrir l’un de ses plus beaux étalons. Cette soirée était une folie, vous dis-je ! Sur le coup de onze heures, le maître de cérémonie – un homme toujours raide et maniéré – vint nous annoncer qu’une pièce de théâtre allait être donnée. Aussitôt, des ribambelles de domestiques s’activèrent pour disposer une scène en plein air et aligner des centaines de fauteuils. Lorsque les acteurs firent leur apparition, je fus stupéfait. Parce que je les connaissais.
    La voix du prince avait changé, devenant moins froide, plus humaine. Son récit s’éloignait du « rapport circonstancié » pour devenir plus personnel. Eugène parut même sur le point de pleurer. Mais l’exercice du pouvoir lui avait appris à tenir ses émotions comme on dresse son chien. Aucune larme ne coula.
    — Oui, je les connaissais. C’était une troupe parisienne que j’avais souvent vue jouer. Oh, ils ne sont pas très connus, mais... Vous devez savoir... Puisque tout Paris est au courant, je suppose que vous l’êtes aussi.
    Margont nota que le prince assimilait Paris à la France entière, soit cent trente départements, Amsterdam, Bruxelles et Rome inclus.
    — Je sais que Votre Altesse a une liaison avec une actrice.
    Eugène sembla sur le point de bondir.
    — Pas une actrice, une danseuse d’opéra ! Et une liaison, une liaison ! On ne dit pas à un prince qu’il a une liaison ou une maîtresse, on dit qu’il apprécie beaucoup telle jeune femme. Donc, comme vous le savez, j’apprécie grandement une danseuse d’opéra. La fréquenter m’a amené à rencontrer d’autres gens du spectacle. Or cette amie était très proche d’un véritable prodige, Élisa Lasquenet. Ce fut cette demoiselle qui joua pour nous ce soir-là avant d’être assassinée. On ne pouvait que la trouver tout à fait charmante. Elle n’avait que dix-neuf ans et pourtant, elle jouait déjà divinement bien. Je ne me lassais pas d’aller l’acclamer lors de ses trop rares exhibitions. Ah, si elle avait vécu, je vous jure qu’elle aurait rapidement mis Paris à genoux.
    Margont se dit qu’outre sa danseuse d’opéra, le prince avait également dû « beaucoup apprécier » cette Élisa Lasquenet.
    — Cette femme avait un talent admirable, capitaine, admirable. Quel gâchis. Et tout ça parce que la comtesse Nergiss voulait me faire plaisir ! Apprenant longtemps à l’avance – certainement par son

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