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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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posait une question. Comment tel comédien pouvait-il jouer un personnage aussi infect ? Éprouvait-on soi-même de la colère lorsque son personnage était furieux ? Il y eut alors un conflit d’opinions. Une partie des comédiens soutenait qu’il fallait utiliser sa sensibilité, ses émotions, pour « devenir » son personnage afin de l’interpréter correctement. D’où une grande limitation des rôles, car une personne donnée ne peut pas « devenir » n’importe qui. Les autres estimaient que l’acteur restait un acteur qui faisait semblant d’être un personnage. Il devait donc utiliser principalement son intelligence. D’où la possibilité pour un acteur doué de s’approprier n’importe quel rôle. Bref, le débat insoluble lancé par monsieur Diderot. Mademoiselle Lasquenet était favorable au second point de vue et clamait qu’elle pouvait absolument tout jouer. Une autre comédienne, qui n’avait que le tort d’être moins belle et moins talentueuse que sa partenaire de scène, jalouse d’être éclipsée, la défia d’interpréter une catin. Comme c’était puéril ! On ne voyait plus deux jeunes femmes, mais deux adolescentes prêtes à se tirer les cheveux. Mademoiselle Lasquenet exécuta une démonstration au reste fort convaincante. Elle alla jusqu’à se caresser les seins. À ce moment-là, le spectacle n’était pas tant sur scène que sur le visage de la comtesse Nergiss. Mademoiselle Lasquenet poursuivit avec sa langue. Elle la passait sur ses lèvres avec une indécence... une indécence... La comtesse s’est levée précipitamment pour applaudir. Le public l’a imitée tandis que mademoiselle Lasquenet, les joues en feu, s’inclinait poliment, encore étonnée de sa propre hardiesse. C’est cela qui a dû excéder l’assassin et le pousser à prendre de tels risques. Voilà pourquoi il lui a coupé la langue. Tant de cruauté déclenchée par une effronterie d’adolescente trop susceptible !
    Le silence qui s’établit mit les deux hommes mal à l’aise.
    — Votre Altesse, il faut que le général Triaire me fasse parvenir la liste exacte des invités.
    — Exacte, exacte... Il notera les noms de ceux qu’il a aperçus.
    — Peut-il essayer de savoir qui s’est absenté au moment du meurtre ?
    — C’est impossible. Il s’est écoulé plus d’une heure entre le moment où mademoiselle Lasquenet est partie se changer et celui où la gouvernante a frappé à sa porte. On ne sait pas à quelle heure précise l’assassin l’a poignardée et il a agi en quelques instants. Son absence n’a probablement même pas été remarquée et, si elle l’a été, tant de gens s’absentaient sans cesse pour se rendre à un buffet, se mêler à une autre discussion ou que sais-je encore... D’ailleurs, qui s’en souciait dans une telle cohue ?
    — Le général Triaire pourrait-il également dessiner l’état des lieux de la chambre : la position du corps, les...
    Le prince éclata d’un rire nerveux.
    — Vous divaguez ? D’ailleurs, personne n’est entré dans la chambre à part la comtesse et les enquêteurs.
    — Sait-on comment l’assassin s’est débarrassé des éventuelles taches de sang qui auraient...
    — Je ne sais pas si on a fait attention à ces détails. Il n’y a qu’une chose qui a frappé les enquêteurs. À un moment, on a bien cru que l’assassin avait volé la langue, car celle-ci restait introuvable ! En fait, elle était cachée dans l’une des poches du manteau de la victime.
    Le front plissé du prince et ses bras croisés qu’il écrasait l’un contre l’autre trahissaient sa tension. S’il avait espéré que Margont anéantirait ses doutes, il y avait effectivement de quoi être contrarié.
    — Je crois vous avoir tout dit sur ce triste événement, conclut-il.
    Sa phrase sonnait comme une oraison funèbre.
    — Je remercie infiniment Votre Altesse. Puis-je disposer ?
    — Tenez-moi régulièrement informé par plis cachetés que vous adresserez au général Triaire. Ne cherchez à me rencontrer que si vous avez enfin du nouveau.
    Eugène alla se plonger dans la masse des messagers tandis que Margont s’attardait dans le bosquet. Ses pensées se mêlaient, incohérentes. Cette affaire pouvait-elle oui ou non être liée à son enquête ? Il n’était pas du tout convaincu de la culpabilité de cet aliéné, mais était-il pour autant convaincu de son innocence ? Sur quoi se fonder pour supposer que

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