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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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« beau-fils » de la « bonne personne » ! » s’emportait-il. Et il établissait un méchant parallèle avec la danseuse d’opéra du prince, décrétant qu’il était normal que quelqu’un qui mimait si bien un vrai général se soit épris d’une « Cléopâtre d’opérette ».
    Deux chiens jaillirent d’une ruelle et aboyèrent après les trois officiers.
    — Voilà que même les cabots nous détestent maintenant ! pesta Piquebois.
    Saber porta la main à son sabre.
    — Ils sont aussi affamés que nous. Il ne doit pas faire bon être grièvement blessé et voir accourir ces deux-là.
    Il ramassa un peu plus loin un shako russe décoré d’une grenade en cuivre d’où partaient trois flammes symbolisant son explosion. Il dessertit cette plaque avec la pointe de son couteau et la fourra dans sa poche.
    — Voilà un souvenir. J’ai la grenade à une flamme des fantassins, celle à trois flammes des grenadiers et l’aigle bicéphale des soldats de la Garde. Le compte est bon.
    Piquebois secoua la tête alors que, quelques années auparavant, il aurait retroussé ses manches pour disputer avec ses poings ce trophée.
    — Il te manque la croix des gardes nationaux sur laquelle est gravée la devise : « Pour la Foi et le Tsar ».
    — Je ne prends pas en compte les miliciens, rétorqua Saber avec mépris.
    — Eh bien, tu verras quand tu croiseras leur route s’ils ne te prennent pas en compte, eux.
    Le cheval de Margont hennissait régulièrement. Des nuées d’insectes tourbillonnaient dans cette ville-charogne et des grappes de mouches s’agglutinaient sur les yeux de l’animal comme s’il s’était agi de caviar. Les trois Français passèrent devant une église orthodoxe. Les murs avaient été noircis par la fumée, mais les coupoles dorées des clochers étincelaient au soleil. On aurait cru un palais des mille et une nuits. Des familles en pleurs se pressaient autour des autels. Quelques décombres plus loin, ils se joignirent à une poignée d’habitants pour déblayer des gravats, car on leur avait dit qu’il s’agissait d’une auberge au garde-manger réputé. Lorsqu’ils dégagèrent enfin la trappe de la cave, celle-ci libéra non pas des jambons fumés, mais une petite fille aux yeux pâles terrorisés et sa mère. Cette dernière la serrait dans ses bras et ne parvenait pas à se résoudre à la lâcher. L’homme qui avait parlé de garde-manger expliqua dans un français maladroit qu’il avait « un peu menti » pour sauver son épouse et sa fille.
    — Mais pourquoi pareil mensonge ! explosa Saber. Nous sommes des officiers français, nous eussiez-vous révélé la vérité, nous nous fûmes hâtés deux fois.
    Le Russe ne comprit bien entendu que le mot « mensonge » et s’empressa de tendre une sacoche à Saber. Elle contenait des tranches de viande. Les Français hésitaient à dépouiller cette famille, mais l’homme se tapota l’estomac en souriant. Piquebois, livide, examinait cette nourriture.
    — Ce n’est pas du boeuf.
    — Ils ne nous empoisonneraient quand même pas..., s’inquiéta Margont.
    — Ce n’est pas du cheval ? Vous n’auriez pas osé..., demanda Piquebois.
    Le Russe hocha la tête plusieurs fois.
    — Bon cheval, oui. Tué hier.
    Piquebois faisait peine à voir. Sa bouche elle-même le trahissait en s’emplissant de salive, mais il décréta :
    — Pas pour moi.
    — Tu ne tiendras pas longtemps si tu ne manges pas à ta faim quand tu en as l’occasion, lui fit remarquer Margont.
    — En mâchant du cheval, j’aurais l’impression de dévorer l’un de vous deux puisque les chevaux et vous, vous êtes mes meilleurs amis.
    Il s’éloigna, piteux, tandis que Saber embrochait déjà les tranches sur la baïonnette d’un fusil ramassé par terre et les brandissait au-dessus d’une poutre dont les braises rougeoyaient encore. À peine rassasié, Margont abandonna Saber pour se lancer à la recherche de Lefine. Il décida de faire la tournée des hôpitaux. Il arriva sur une place qui avait été superbe. Des hommes du génie abattaient à la hache des arbres noircis afin d’éviter qu’ils ne s’écroulent sur les bâtiments. Le parc se changeait en désert. Quatre blocs de maisons conféraient une élégante symétrie à ce rectangle. Mais leurs façades étaient criblées d’impacts et l’un d’eux avait perdu sa toiture. Il y avait une quantité phénoménale de boulets éparpillés sur le sol.

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