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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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condamné... ou discrètement muté à « Vieja la va au diable » ?
    — Pourquoi moi, Votre Altesse ?
    Le vice-roi se leva et saisit un porte-documents posé sur le sofa. Il l’ouvrit prestement et en retira une quinzaine de feuilles.
    — Vous avez été choisi d’après de nombreux critères. Je sais tout sur vous, capitaine. Votre enfance, votre brève carrière religieuse forcée, votre parcours militaire, vos opinions, vos lectures, les noms de vos amis...
    — Puis-je savoir d’où Votre Altesse tient tous ces renseignements ? Impossible de dresser ma biographie en une nuit.
    Le prince prit l’air triomphant de celui qui voit ses prévisions s’accomplir à la lettre, lui donnant l’illusoire, mais grisant sentiment de pouvoir tout contrôler.
    — Voici plusieurs années, j’ai fait dresser par Triaire une liste secrète de quelques personnes aux compétences variées. Mon idée était de créer mon propre réseau d’espions. Mais finalement, ceux qu’utilise l’Empereur sont si efficaces – Schulmeister en est l’archétype – que j’ai renoncé à mon projet. Cependant Triaire a continué à tenir ce registre, biffant les noms de ceux tués au combat, en ajoutant d’autres... Un jour, votre nom y est apparu.
    — Et il n’y a qu’une seule façon d’être rayé ?
    Le prince ignora la question. Il tournait les pages de son dossier avec nonchalance, comme s’il effeuillait une marguerite. Les comptes rendus étaient rédigés d’une écriture si petite et si serrée que l’on aurait dit des pages de Bible. Triaire avait mené son enquête à la perfection. À chaque page que le prince parcourait, Margont se sentait un peu plus mis à nu. Le vice-roi releva enfin la tête.
    — Je n’ai guère le temps de prêter attention à votre vie, même si celle-ci semble avoir passionné mon bon Triaire. Mais parlons de la bataille d’Eylau à laquelle vous avez participé. Ou plutôt des lendemains d’Eylau. C’est à cette époque que vous êtes devenu un peu plus critique vis-à-vis de l’Empereur.
    Margont écarquilla les yeux. Seuls ses amis les plus proches, Saber, Lefine et Piquebois, connaissaient aussi précisément ses opinions. Lequel avait renseigné les hommes de Triaire ? Certainement Lefine. Quoi qu’il en soit, il devait réagir.
    — Votre Altesse, je sers fidèlement l’Empereur et les idéaux de la Révolution depuis toujours et je...
    — Je sais ! Autrement, vous ne seriez pas sur ma liste ! Disons que vous ne faites pas partie de ceux qui pensent que tout – absolument tout – ce que fait l’Empereur est parfait et admirable. Et, en homme prudent, vous réservez vos reproches à vos amis intimes.
    — Pas assez intimes, il faut le croire...
    — Les seuls amis intimes qui gardent les secrets sont ceux qui sont morts.
    — Je n’irai pas jusque-là avec celui qui m’a trahi.
    Il y eut un changement dans l’attitude du prince. Ses traits s’adoucirent. L’homme reléguait temporairement le vice-roi.
    — Pourquoi ce changement en 1807 ? C’est bien la bataille d’Eylau, n’est-ce pas ? Je dois reconnaître que moi-même... On peut admirer le génie des combinaisons tactiques des généraux, l’héroïsme de certains soldats, les faits d’armes épiques, mais on ne peut pas ignorer les carnages qui vont de pair. L’esprit humain est un buvard, il peut absorber une quantité de sang plus ou moins importante, mais il finira toujours par en être saturé et par dégorger.
    Margont, lui, ne combattait pas pour ces motifs. Mais Eylau lui avait montré ce que la réalité pouvait parfois faire des bons sentiments et des belles intentions. Car dix mille morts et quarante mille blessés, ce n’était plus un carnage, c’était la fin du monde. Par la suite, l’Empereur avait interdit le port d’uniformes blancs. Officiellement, parce qu’ils rappelaient l’Ancien Régime. Mais aussi parce que ceux-ci rendaient trop visibles les taches de sang...
    Le prince s’était tu. Était-il à Eylau ou sur le rivage d’une autre mer de sang ? À moins que tout cela ne fût qu’une mise en scène pour se rendre sympathique aux yeux de Margont. Cet illustre personnage était difficile à cerner. Tantôt calculateur, manipulateur, hautain et méprisant, tantôt compatissant et humain. Margont ne pouvait dire laquelle de ces facettes était la plus authentique ni identifier celle qui l’emporterait sur l’autre.
    — Eylau excuse les critiques que

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