Les Rapines Du Duc De Guise
d’ulcères revint. Ils sortirent, le porte-clefs
marchant devant avec une lanterne. Ils suivirent une large galerie sablée à la
voûte noircie par la fumée des torches et des lanternes et aux murs rongés par
le salpêtre. Ils croisèrent un autre porte-clefs accompagné d’un magistrat et d’un
greffier qui saluèrent le commissaire. Parfois un gémissement lugubre
retentissait. Le guichetier ouvrit une grille rouillée qui grinça, ensuite ce
fut un nouveau passage fort pentu avant d’arriver à un escalier aux marches
recouvertes de moisissures verdâtres. En haut, le guichetier ouvrit une
nouvelle porte et ils débouchèrent dans le grand vestibule du Châtelet.
Ils traversèrent la grande salle plongée en
partie dans les ténèbres malgré les chandelles allumées dans des niches et
sortirent dans la cour sans passer par le bureau des écrous. Ils n’avaient
croisé que quelques archers. Dehors, il faisait presque nuit.
— Ma monture est là, j’en ai fait
préparer une seconde pour vous ; vous me suivrez, dit le commissaire à
Poulain en désignant deux mules.
Jean Séguier, seigneur d’Autry, lieutenant
civil de Paris habitait lui aussi rue des Petits-Champs, à quelques maisons de
l’hôtel de son frère. La plupart des grands commis de l’État logeaient dans
cette rue proche du Louvre. En chemin, Poulain réfléchissait à ce qu’il
pourrait dire au lieutenant de police. Les Séguier étaient réputés fidèles au
roi, mais il avait vu ces temps-ci tant de gens jugés loyaux basculer du côté
de Guise qu’il lui fallait rester discret.
Le portail de l’hôtel de Jean Séguier était
ouvert mais surveillé par deux gardes armés de pertuisanes. Ils entrèrent dans
une petite cour et un valet s’occupa des montures. Dans le vestibule, un autre
valet les attendait. Poulain remarqua qu’il portait une épée et un pistolet
glissé à sa taille. M. Séguier s’inquiétait donc pour sa sécurité.
Il avait sans doute raison, songea le
lieutenant du prévôt avec amertume.
— Je reste ici à vous attendre, expliqua
le commissaire. M. Séguier m’a fait savoir qu’il veut vous rencontrer seul.
Le valet accompagna Nicolas Poulain à l’étage
et le fit entrer dans une pièce où travaillait un homme au lourd visage sanguin.
Il avait un nez charnu, une bouche lippue et des sourcils épais mais il leva
des yeux étonnamment vifs en voyant entrer son visiteur. Deux chandeliers
éclairaient sa table de travail et leurs flammes vacillantes faisaient
ressortir les traits empâtés et fatigués du lieutenant civil.
— Monsieur Poulain ?
— Oui, monsieur.
— Nous n’avons guère de temps. Mon frère
m’a prévenu que des amis à vous sont venus lui raconter votre arrestation. Selon
eux, il s’agit de gens fort puissants qui détournent une partie des tailles
royales. Pouvez-vous m’en dire plus ?
— Il y a en effet une importante fraude
sur les tailles, monsieur. Un de mes amis est sur le point d’en démonter les
ressorts, et comme j’ai eu l’occasion de le protéger lors d’une agression
contre sa personne, on a cherché à m’éliminer pour pouvoir s’en prendre plus
facilement à lui, ou simplement pour m’écarter.
En vérité Nicolas Poulain ignorait si son
arrestation avait un rapport avec la fraude. Ce pouvait être aussi une décision
du conseil de la Ligue qui aurait découvert sa trahison. Cependant, en
réfléchissant, il s’était dit que, dans ce cas, les ligueurs l’auraient
simplement convoqué chez l’un d’eux, et l’auraient dagué.
— Avant d’aller plus loin, je suppose que
vous avez faim, monsieur Poulain…
— En effet, dit lugubrement le lieutenant
du prévôt. Ces messieurs du Grand-Châtelet ne m’ont pas encore porté à souper !
— J’ai fait préparer sur cette table du
pain, du vin et du jambon, servez-vous.
Poulain s’approcha de la table et se servit un
grand verre de vin du flacon qu’il but avec soulagement tant il avait soif. C’était
du vin de Montmartre, son préféré.
— J’ai été rapidement informé par mon
frère de votre arrestation, mais il m’a fallu trouver M. Chambon, qui est
un des rares commissaires qui ont encore ma confiance. Ceci pour vous dire que
j’ignore tout des raisons de votre enfermement.
— Ce matin, j’ai été accusé dans la rue
par deux marauds de les avoir volés. Nous avons échangé des coups et quelques
archers qui étaient sur place sont intervenus. On
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