Les Rapines Du Duc De Guise
m’a fouillé et j’avais
effectivement sur moi la bourse d’un des marauds.
— Comment l’expliquez-vous ? s’enquit
le lieutenant civil, surpris.
— Je ne l’explique pas, monsieur ! L’impudence
est l’apanage des larrons. On a sans doute glissé cette bourse dans une poche
de mon manteau.
— Mais dans quel but ?
— Me conduire au Châtelet et me serrer en
cellule.
— Mais pourquoi vous emprisonner ?
— Sans doute pour m’écarter, comme je
vous l’ai dit, monsieur. Il y aurait aussi d’autres explications liées aux
affaires que je traite, cependant, et vous m’excuserez, je ne peux vous en dire
plus pour l’instant, car je suis lié par un serment.
Un soupçon de mécontentement traversa le
visage du lieutenant civil, mais il inclina la tête faisant comprendre qu’il
acceptait cette explication.
— Je vais vous faire élargir sur-le-champ.
— N’en faites rien pour l’instant, monsieur.
Il faut me laisser en prison pour ne pas alerter ceux qui m’y ont mis. Ainsi
ils vont se manifester et je connaîtrai leurs véritables raisons. En revanche, il
faudrait me conduire demain matin chez M. le comte de Cheverny.
— Le chancelier ?
— Oui, monsieur.
— Il vous attend ?
— Oui, monsieur. Je dois rencontrer chez
lui un important visiteur.
Tout en parlant, Nicolas Poulain s’était coupé
une large tranche de pain et un morceau de jambon qu’il dévorait.
— Que pouvez-vous me dire d’autre ?
— Rien, monsieur, sinon que si je n’étais
pas là, le chancelier et son visiteur seraient fort fâchés.
Séguier laissa Poulain mastiquer son repas
pendant qu’il laissait vagabonder ses pensées. Malgré les questions qu’il avait
posées à Nicolas Poulain, il connaissait déjà les grandes lignes de cette
affaire de vérification des tailles que son frère lui avait narrée. Il savait
que le père d’Olivier Hauteville avait été assassiné et que le commissaire
Louchart avait fait arrêter le fils avant de le libérer. Il savait aussi que
Louchart incitait commissaires, sergents et exempts à le rejoindre dans une
société de défense de la religion catholique et romaine. Louchart était à la
Ligue et presque tous les commissaires l’avaient suivi. Seul Chambon avait
rejeté ses offres.
Ce coquin de Louchart assurait même qu’il serait
bientôt lieutenant civil à sa place !
Il savait aussi que le marquis d’O était
revenu secrètement à Paris et que la situation était dramatique pour le roi. On
disait que la populace s’était armée, qu’elle allait s’attaquer au Palais, au
grand et au petit Châtelet, au Louvre, à la Bastille même. Il n’ignorait pas
que sa maison serait la première pillée en cas d’émeute, et qu’il serait un des
premiers pendus ou dagués jetés en Seine. Il avait engagé des gardes supplémentaires
en sachant bien que ce serait insuffisant s’il y avait une sédition générale. Ce
ne serait pas les quelques centaines de Suisses et de gardes françaises qui
pourraient défendre les gens du roi.
Poulain était sans doute une pièce importante
dans un plus vaste jeu.
Qui devait-il rencontrer secrètement chez
Cheverny qui était un des hommes au plus près du roi. Et ce juste après le
conseil ? Il ne voyait qu’une seule personne… mais c’était invraisemblable…
se déplacerait-il pour un simple lieutenant du prévôt ?
— Le roi ? s’enquit-il un peu au
hasard.
Poulain tressaillit et s’arrêta de manger. Il
considéra Séguier dans un mélange de surprise et de contrariété.
— Comment le savez vous, monsieur ?
— Je l’ai deviné, déclara-t-il en
laissant filtrer un sourire de satisfaction. Je suppose que cette manœuvre
contre vous est aussi en rapport avec la situation insurrectionnelle qui règne
en ce moment en ville…
Poulain hocha la tête sans dire un mot.
— Je vais faire appeler M. Chambon.
Il tira un cordon.
Le commissaire et
Poulain revinrent au Grand-Châtelet. Il faisait nuit mais Chambon, fort avisé, transportait
sur sa mule une petite lanterne. Il conduisit Poulain au bureau des écrous où
se tenaient un greffier et deux geôliers qui jouaient aux cartes. Chambon
expliqua qu’ils devaient enfermer M. Poulain et lui donner du pain et une
couverture. Il précisa qu’il viendrait le chercher à nouveau le lendemain matin
pour un autre interrogatoire.
Après une médiocre nuit, Poulain mangea un peu
de pain ainsi qu’une soupe portée par le
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