Les Rapines Du Duc De Guise
silencieux, les yeux
dans le vague, comme plongé dans des souvenirs. Puis il déclara d’un ton
presque guilleret :
— Lors des États généraux de 1577, ma
mère a invité à Blois une troupe italienne, les Gelosi. J’ai beaucoup
appris avec Flaminio Scala, leur chef… On peut vaincre un ennemi en le trompant,
m’a-t-il rappelé, il suffit de bien jouer son rôle, c’est ce qu’a fait Ulysse.
Nicolas ne comprenait pas ce que le roi
voulait dire, par politesse il hocha sottement la tête.
— J’aime les travestissements et l’illusion,
monsieur Poulain. Nous continuerons donc à jouer la comédie selon votre guise, contre
mon cousin Guise.
Il eut un sourire satisfait de son bon mot et
Richelieu se força à rire.
— Il serait bon que M. de Cheverny
me fasse publiquement quelques réprimandes et menaces, sire, suggéra Poulain. Cela
ne pourrait que renforcer ma position auprès de vos ennemis.
— Ce serait une idée plaisante, reconnut
le roi. Les Gelosi auraient aimé participer à cette comédie. Cheverny, faites
ce qu’il faut ! Et tâchez d’être convaincant ! À vous revoir, monsieur
Poulain…
Il se tut une seconde avant d’ajouter :
— … Continuez à prévenir M. de Cheverny
ou M. de Richelieu, de tout ce que vous apprendrez de fâcheux contre
moi ou contre le royaume, et soyez certain que je ne vous oublierai pas. Je n’oublie
rien.
Le roi et ses compagnons repartirent.
Cheverny sonna un valet pour qu’il aille
chercher le commissaire Chambon.
Le chancelier ordonna au commissaire de se
mettre aux ordres de Nicolas Poulain, tout en le traitant toujours avec le plus
grand mépris et la plus grande brutalité en public. Le commissaire Chambon
avait déjà compris que Poulain n’était pas un prisonnier comme un autre et qu’il
jouait un rôle. Il assura Cheverny de son obéissance et Nicolas Poulain lui
expliqua ce qu’il attendait de lui. Après quoi, Cheverny fit venir un
secrétaire afin de lui dicter une lettre pour M. de Villeroy, le
ministre qui avait le prévôt Hardy sous ses ordres et qui était donc le
supérieur du lieutenant du prévôt.
Jusqu’en 1579, le baron de Sauves s’occupait
de la gendarmerie et de la maison du roi au sein du secrétariat d’État à la
Guerre. À sa mort, M. de Villeroy avait repris son département et
avait désormais la haute main sur les prévôts des maréchaux. Cheverny savait
que M. de Villeroy penchait pour la Ligue, et que ce qui se dirait
chez lui serait vite connu des ligueurs. Quand la lettre fut terminée, le
chancelier appela les sergents pour qu’ils viennent chercher le prisonnier. Devant
eux, il déclara que le lieutenant Nicolas Poulain avait fait une grande faute
et qu’il en serait sévèrement puni. Il donna ordre qu’on le conduisît au logis
de M. de Villeroy pour y être sanctionné.
Le secrétaire d’État fit longuement attendre
Poulain et Chambon, car il était avec son confesseur, puis il dîna. Ce ne fut
que dans l’après-midi qu’il vint les trouver dans l’antichambre où ils
attendaient avec les sergents. Il tenait la lettre de Cheverny à la main.
— Monsieur Poulain, vous avez été accusé
de vol dans la rue… le roi est fort courroucé contre vous et il faudra que vous
vous défissiez de votre office, ou autrement je vous ferai pendre.
Poulain répondit qu’il était innocent et qu’il
voulait d’abord un procès. Le secrétaire le menaça pour son insolence avant d’ordonner
qu’on le reconduisît au Grand-Châtelet.
Le lundi matin, Le Clerc, Louchart et La
Chapelle furent introduits dans la cellule de Nicolas Poulain. Ils l’interrogèrent
assez amicalement sur les raisons de son emprisonnement, puis sur celles pour
lesquelles on l’avait mené au logis du lieutenant civil, du chancelier et de M. Villeroy.
Ainsi, ils avaient vite été informés ! songea
le lieutenant du prévôt.
— Ils ont voulu me contraindre de
résigner mon état pour un vol que je n’avais pas commis. J’ai dit qu’il fallait
faire mon procès avant et M. de Villeroy a été très fâché contre moi.
» Le commissaire Chambon recherche mes
accusateurs, qui disent se nommer Valier et Faizelier, mais ils n’habitent pas
où ils l’ont dit. Pour ma part, je suis certain de pouvoir montrer des témoins
et faire tomber cette accusation.
— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir
pour vous aider, l’assura le commissaire Louchart avec effusion, et je vais
donner des
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