Les Rapines Du Duc De Guise
que les enfants du couple restaient sous la
surveillance de leur gouvernante.
Charlotte Arbaleste
– Mme de Mornay – était aussi à Paris pour les noces d’Henri de
Navarre avec la sœur du roi, en août 72. Jeune veuve avec une fille en bas âge,
elle ne connaissait pas encore Philippe de Mornay. Dans la nuit du samedi, une
servante l’avait réveillée, apeurée. On tuait dans les rues. Les deux femmes s’étaient
enfuies vers une autre maison où elles s’étaient dissimulées dans un bûcher, puis
dans un grenier, car il n’y avait pas assez de place. Charlotte avait entendu
les cris et les supplications de ceux que l’on massacrait alors que sa fille
était cachée en bas avec une servante. Le massacre avait duré plusieurs jours
durant lesquels elle était restée au désespoir de ne pas savoir ce que devenait
son enfant. Le mercredi suivant, des amis lui avaient fait parvenir un message
pour la prévenir que la tuerie était finie et qu’elle pourrait prendre un
bateau pour quitter la ville. Elle avait suivi leurs indications mais la grande
barque avait malheureusement été arrêtée et les passagers avaient dû montrer
leur passeport. Comme elle n’en avait point, les gardes avaient décidé de la
noyer avec sa fille. Finalement pris de pitié, ils l’avaient laissée passer.
Philippe et elle s’étaient rencontrés deux ans
plus tard. Ils partageaient les mêmes goûts, les mêmes mœurs austères, et les atrocités
auxquelles ils avaient assisté les avaient rapprochés. Ils ne s’étaient plus
quittés. Aujourd’hui, ils avaient quatre enfants, plus Suzanne, née du premier
mariage de Charlotte, et bien sûr Cassandre.
— Vous avez vu les Suisses ? demanda
le surintendant de la maison de Navarre quand tous se furent confortablement
installés dans la grande salle.
Charlotte hocha la tête.
— C’est Scipion Sardini qui les envoie. Ils
m’ont porté cette lettre, dit-il en la lui tendant.
Monsieur,
Les raisons qui me portent à vous
importuner sont si fragiles, que j’ai plusieurs fois repoussé de prendre la
plume. J’avais envisagé de vous voir à Paris, mais j’ai trop hésité et quand je
me suis décidé, vous veniez de partir.
Mais en ce temps troublé, tout peut avoir
de l’importance.
Au début de l’année dernière ont eu lieu de
retentissants procès faits à certains trésoriers pour avoir détourné des aides
et une partie de la taille [14] . Il est certain que le rendement de la taille diminue d’année en année.
En quatre ans, l’élection de Paris a perdu près d’un million et demi de livres.
Le roi a beau multiplier les coercitions et les contrôles, le peuple ne peut
tout simplement plus payer et les fraudes sont trop nombreuses.
Comme banquier et collecteur de taxes, je
connais bien ces circuits financiers puisqu’une partie des recettes de l’État
aboutit dans mes coffres où elles y sont plus en sécurité que chez le trésorier
de l’Épargne ou à l’Arsenal.
Vous le savez, dans l’élection de Paris, c’est
la commission de la taille et le bureau des finances qui établissent la
répartition de l’impôt et chargent les élus d’évaluer les biens taillables par
paroisse et diocèse. Les élus [15] sont chargés de chevauchées régulières dans les paroisses afin de s’informer
des facultés des taillables et de compléter les rôles établis par le bureau des
finances, ou dressés par les collecteurs.
Ensuite, dans chaque paroisse, durant le
mois d’octobre, tous les habitants élisent des asséeurs collecteurs qui
répartissent la taille et la collecte. Les sommes recueillies sont ensuite
portées aux receveurs qui les notent sur un registre paraphé par les élus. Après
cet encaissement, les receveurs, lorsqu’ils ne sont pas trésoriers, font porter
les tailles au receveur général ou à un trésorier général, ou encore au trésorier
de l’Épargne.
Les agents du bureau des finances, qui
changent chaque année pour éviter la corruption, vérifient le travail des élus,
des collecteurs et des receveurs. Les contrôleurs des tailles examinent aussi
les registres et les bordereaux des receveurs. Toutes les pièces de recette
doivent être inscrites dans des registres transmis ensuite au tribunal de l’élection
de Paris. Tout transfert d’argent à des trésoriers ou à l’Épargne est accompagné
d’un acte signé et scellé.
Seulement ce règlement n’est jamais suivi à
la lettre et la corruption règne en
Weitere Kostenlose Bücher