Les Rapines Du Duc De Guise
alcôve de la chambre. O s’y installa
et écrivit une courte missive qu’il cacheta avec son sceau. Il appela ensuite
Cubsac pour qu’il porte la lettre au gouverneur de Paris, son beau-père,
M. de Villequier.
Un peu plus tard, Cubsac étant parti, le
marquis s’installa dans la chambre de l’intendant et donna ses ordres à ses
domestiques. Charles rangerait ses vêtements dans un coffre pendant que Bertier
surveillerait que les valets d’écurie s’occupent bien de leurs montures. Quant
à Dimitri, il l’envoya rue de la Plâtrière.
Quelques années plus tôt, François d’O avait
acheté au maréchal de Retz [38] – pour
42 000 livres – un hôtel et une petite maison dans cette rue toute proche
qui allait de la rue Saint-Martin à la rue Beaubourg. En 1583, il avait revendu
l’hôtel au duc d’Épernon et il ne lui restait que la maison. Celle-ci était
vide et Dimitri était chargé de vérifier son état. Si leur séjour à Paris se
prolongeait, O avait décidé d’acheter ou de louer un lit et quelques meubles.
Vers six heures, Ludovic da Diaceto invita son
hôte à souper dans sa chambre avec la belle Anne d’Aquaviva. Le repas fut
agréable et savoureux, avec un premier service de pâtés de veau suivi d’un
cochon de lait, d’un chevreuil, de jeunes pigeons bouillis et d’un lapin
admirablement cuisiné. Bouffonne, en vertugadin turquoise aux manches en
gigot et grand collet ouvert en éventail, qui dévoilait généreusement ses appas,
donna surtout de coquines nouvelles des dames de la cour. Le marquis d’O étant
réputé pour sa galanterie, il apprécia fort ses historiettes. Ce n’est donc que
vers la fin du souper que le banquier informa son hôte sur ce qu’il savait des
activités du roi, et sur les récents événements politiques.
O avait eu connaissance de l’assemblée des
églises réformées à Montauban, mais il ignorait que, deux mois plus tôt,
M. de Mornay avait porté au roi les remontrances qui y avaient été
votées, ainsi qu’un message d’Henri de Navarre écartant l’idée de changer de
religion.
Sitôt connu, ce refus avait provoqué une
agitation hostile dans la capitale. L’Europe restait gouvernée par la règle de
la paix d’Augsbourg, le principe cujus regio, ejus religio : la
religion du prince est la religion des sujets. Si Navarre devenait roi et
restait protestant, martelaient les curés de Paris, tout le monde deviendrait
protestant. C’était faux, bien sûr, Henri de Bourbon ayant toujours défendu la
liberté religieuse, mais l’argument portait. Dans les sermons, les prêtres
rappelaient à leurs ouailles combien leur vie était dure. Ils étaient accablés
par la guerre civile, la cherté des grains et le fardeau des impôts. Ces
souffrances ne seraient pourtant rien comparées à celles qu’ils subiraient dans
l’au-delà, car ils seraient damnés s’ils laissaient le Béarnais imposer l’hérésie.
Le soutien du duc de Guise au cardinal de Bourbon pour qu’il accède au trône à
la place de Navarre, si le roi restait sans descendance, avait donc été accueilli
avec soulagement par la bourgeoisie et la populace, expliqua Diaceto. On
murmurait que les forces vives de la cité, appuyées par le duc de Mayenne, s’étaient
rassemblées en une secrète confrérie. Le bruit courait que les bourgeois s’armaient
pour se défendre d’une nouvelle Saint-Barthélemy cette fois conduite par Henri
de Navarre. Des pamphlets infamants circulaient, des placards étaient collés
sur les portes, et des prêches virulents dans les églises faisaient le procès d’un
roi que l’on accusait de soutenir secrètement l’hérésie.
— Sa Majesté ne s’inquiète pas ? s’enquit
O, qui se demandait si cette agitation n’avait pas un rapport avec sa venue à
Paris.
— Pour l’instant, non. Il s’amuse, se
plaît à découper des images et s’intéresse surtout au nouveau règlement qu’il a
édicté pour ses gentilshommes, répliqua Diaceto d’un ton désabusé.
— De quoi s’agit-il ?
— Les gens qui l’entourent devront
désormais, durant leur service, être vêtus d’un habit de velours noir avec une
chaîne en or et un bonnet en guise de chapeau.
— Je reconnais bien Henri, dit O avec
indulgence.
— Heureusement, d’autres veillent, monsieur
le marquis. Il y a M. de Richelieu – le Grand prévôt de France –, et
surtout M. d’Épernon, poursuivit Diaceto avec chaleur. Épernon a engagé
sur
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