Les Rapines Du Duc De Guise
négligemment le lieutenant du prévôt, et je ferai tout pour qu’il
n’y en ait jamais plus.
— Moi aussi, j’avais dix ans… balbutia
Olivier.
— Qu’a fait votre père durant le massacre ?
— Il nous a cachés, et nous a empêchés de
sortir. Plus tard, on est venu le chercher pour aider à rétablir l’ordre… Je
crois qu’il était resté marqué par les horreurs qu’il avait vues.
— C’est pour ça qu’il avait rejoint cette
ligue de M. de La Chapelle ?
— Sans doute. Lui aussi ne voulait pas
que tout recommence, avec cette fois les hérétiques comme massacreurs.
Poulain hésita à lui dire que ses propres amis
avaient peut-être occis son père, mais jugeant que cela l’entraînerait trop
loin, il préféra se taire.
Lundi 14 janvier,
le matin
Les Séguier étaient
une famille considérable.
Pierre Séguier, président à mortier au
parlement de Paris jusqu’en 1576, avait eu deux fils. Le premier, Jean, seigneur
d’Autry, était maintenant lieutenant civil, et Antoine, le second, occupait la
fonction de maître des comptes. Les deux frères habitaient dans la même rue [36] .
Antoine Séguier occupait plusieurs charges. Il
était à la fois intendant à la surintendance des finances, chargé du contrôle
des pièces comptables des receveurs, conseiller au conseil d’État, et enfin
conseiller au parlement. C’est que l’administration de cette époque n’avait
rien à voir avec la nôtre. Ainsi les secrétaires d’État, le chancelier, ou
encore le surintendant des finances tenaient leur office dans leur hôtel et
rémunéraient eux-mêmes leurs commis, secrétaires et employés aux écritures qui
travaillaient chez eux.
Ils confiaient aussi une partie de leurs
tâches à d’autres officiers, auxquels parfois ils avaient vendu la charge. Ceux-là
étaient aussi entourés de commis et de secrétaires lesquels pouvaient, à leur
tour, sous-traiter une partie de leurs attributions.
M. Hauteville
possédait un bardot pour se rendre au palais. L’animal, robuste comme une mule
et aussi placide qu’un âne, était en pension dans la même écurie que le cheval
de Nicolas Poulain. C’est sur son dos qu’Olivier et son commis se rendirent
chez M. Séguier, rue des Petits-Champs. Il avait à nouveau neigé et les
rues étaient encore plus sales que d’habitude, mais sur le bardot, les deux
hommes ne se salirent pas trop et ne crottèrent pas leurs chaussures.
Antoine Séguier travaillait avec un de ses
secrétaires quand ils se présentèrent. C’est de leur bouche que le maître des
comptes apprit la mort de M. Hauteville. Il demanda quelques explications,
qu’Olivier lui fournit, et avoua qu’il n’avait aucune idée des raisons de cet
assassinat. Il se souvenait bien avoir confié à M. Hauteville père un
travail de vérification des tailles de l’élection, à la demande du surintendant
M. de Bellièvre. Compte tenu de ses charges écrasantes, c’était M. Claude
Marteau, un maître des comptes à qui il avait cédé une charge de contrôleur
général, qui suivait ce contrôle. Il ignorait si M. Hauteville avait été
sur le point de terminer ses vérifications et n’avait jamais eu aucun mémoire
entre les mains.
Sur ses conseils, et pour en savoir plus, Olivier
et Le Bègue se rendirent rue des Deux-Portes où logeait Claude Marteau.
Le contrôleur général habitait une maison à
deux étages, chacun en encorbellement sur le précédent. La bâtisse, à l’enseigne
de la Reine Blanche, était fort coquette avec des colombages peints en
bleu et en ocre et les extrémités de la charpente sculptées en tête de
gargouille.
M. Séguier les avait prévenus. Marteau
était d’une grande loyauté à la Couronne. Son frère avait épousé la fille de M. de Nully,
président de la cour des Aides et prévôt des marchands. C’était un officier
important et ils devraient faire preuve d’une grande considération en l’interrogeant.
Dans la grande chambre qui lui servait de
cabinet de travail, Claude Marteau parut à la fois surpris et contrarié quand, introduit
par un secrétaire, Olivier eut expliqué le but de sa visite.
Les trois fenêtres de la pièce lambrissée s’ouvraient
sur la rue. Sur une haute estrade, un lit à rideaux occupait une grande partie
de l’espace. Non loin se dressait une cheminée qui enfumait la pièce. À partir
de la porte par où ils étaient entrés, se succédaient un dressoir garni de
belles pièces
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