Les Rapines Du Duc De Guise
qu’il n’avait jamais ressemblé à ces
deux-là. L’un était futile et impulsif, et l’autre cruel et orgueilleux. Lui n’avait
jamais agi sur un coup de tête, même pour décider de son infortune, et il ne se
laissait jamais conduire par ses passions.
Évidemment, sa jalousie envers Joyeuse et
Épernon avait été un bon prétexte pour justifier sa disgrâce. Mais aujourd’hui,
alors qu’il rêvait devant la cheminée, il se demandait s’il avait eu raison. Il
soupira, essayant de chasser ces idées noires. Les regrets ne servaient à rien.
Soudain, il entendit des martèlements au loin
et son cœur se mit à battre plus fort. Il se leva. Le martèlement s’intensifia,
puis ce fut le fracas d’un équipage et le roulement d’une voiture. Une
nombreuse troupe entrait dans la cour.
Il regarda par la fenêtre à meneaux, aux
petits verres en losange sertis dans le plomb. À la lueur des flambeaux de cire,
il aperçut dans la cour un grand nombre de cavaliers, plus d’une trentaine
certainement. Il ouvrit la fenêtre et la neige pénétra dans la chambre en
tourbillonnant. Plusieurs hommes de la troupe lui étaient familiers, comme Villequier
ou Montpezat, qui donnait des ordres à l’escorte.
Il referma la fenêtre et attendit. Quelques
instants plus tard, la porte s’ouvrit sur Dimitri, qui s’effaça pour laisser
entrer son beau-père.
M. de Villequier n’avait pas changé.
Certes, il avait grossi, épaissi, mais la sauvagerie transparaissait toujours
autant sous ses mouvements. Une large lame à manche de cuivre pendait à sa
taille. Il le salua d’un rude hochement de tête. Derrière le gouverneur de
Paris suivait un petit bonhomme maigrelet, à la démarche chancelante. Un
puissant halo de parfum l’entourait. Pâle, presque chauve quoiqu’il n’eût que
trente-cinq ans, le front haut et dégarni sous son toquet noir à trois plumes
serties de diamant, ses yeux cernés étaient profondément enfoncés dans leur
orbite. Il considéra O d’un regard fixe. Avec ses joues maquillées de poudre
rose, sa courte barbiche, sa bouche frémissante de contractions nerveuses, il
faisait penser à quelque bateleur italien en plein spectacle. À ses oreilles
pendaient deux grosses perles serties dans de lourdes boucles d’or et il était
vêtu d’un épais manteau à fausses manches, entrouvert, sous lequel on
apercevait son pourpoint noir passementé de noir, sans aucune perle ou
pierrerie. Ses trousses rebondies, incarnates, apportaient la seule note de
couleur dans son habillement. Il n’avait pas d’arme, sinon une dague ciselée au
manche de vermeil attachée à la taille.
C’était le roi. Henri III. Le dernier des
Valois.
O réprima une grimace de déception. Il
trouvait le roi bien changé. Son teint blanc et précieux s’était terni et la
grâce de son maintien s’était transformée en langueur. Le marquis ressentait
une pointe de déception quand, brusquement, Henri III lui lança ce regard
vif qu’il connaissait si bien. Il fut rassuré, le roi n’avait rien perdu de
cette intelligence perçante qu’il avait toujours admirée.
Derrière lui, suivait M. du Plessis, seigneur
de Richelieu, le Grand prévôt de France. Lui au moins était toujours le même
avec son visage émacié et sa fine barbe noire. Il était en justaucorps noir et mantelet,
coiffé d’un toquet avec une sinistre plume de corbeau, et une lourde épée à
arceaux de bronze était serrée à sa taille. Derrière encore venait M. Pomponne
de Bellièvre, le surintendant des finances. C’était le plus âgé de la troupe. Cheveux
courts et blanchis sous un toquet blanc, petite fraise à l’ancienne avec un
pourpoint noir. Il gardait cette épaisse barbe que O avait toujours connue, celle
qu’il portait déjà en Pologne.
— Bonsoir, O, fit le roi, en s’approchant
du fauteuil près du feu. Je suis gelé, ajouta-t-il en ôtant ses gants.
Fins et blancs, ses doigts semblaient moulés
dans de l’albâtre.
O s’inclina très bas.
— Bonsoir, Votre Majesté.
— Quatre ans ? Cela fait bien quatre
ans que je t’ai chassé ? demanda Henri III avec ironie.
— Oui, Sire, je m’en souviens encore, c’était
en octobre 1581. Le jeu, les disputes avec Joyeuse et Épernon ont eu raison de
moi.
Le roi eut un rictus tandis que Dimitri
entrait avec des verres et des liqueurs que Diaceto avait fait porter. Il
servit chacun avant de se retirer dans un coin de la pièce.
— Tu as abattu du
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