Les Rapines Du Duc De Guise
sa cassette quarante-cinq gentilshommes gascons dont le capitaine est
François de Montpezat, seigneur de Laugnac, et qui, par roulement de quinze, entourent
le roi à tout moment.
— J’en ai entendu parler, fit O avec
froideur.
— Chaque jour, le royaume ressemble un
peu plus à une barque démâtée dans la tempête. Le peuple a beau haïr Épernon, on
se demande ce que deviendrait la France sans lui. Il doit sous quelques jours
prêter serment de colonel général, et j’espère qu’il gardera le bon cap.
— Et les Guise ? s’enquit O qui
détestait qu’on loue M. de Nogaret.
— Aucun n’est à Paris, dit-on, mais nul
ne sait qui loge dans l’hôtel de Clisson. Mayenne est toujours dans le Poitou
pour tenter de réduire les troupes huguenotes et le Balafré serait à
Joinville. Seule leur sœur, Mme de Montpensier, habite au petit
Bourbon [39] .
— Savez-vous qui a été élevé dans l’ordre
du Saint-Esprit, cet hiver ?
Cet ordre de chevalerie – le plus prestigieux
d’Europe – avait été créé par Henri III pour s’attacher étroitement les
seigneurs de la cour. O n’en faisait pas partie, pourtant Anne de Joyeuse et
Jean-Louis de Nogaret – le duc d’Épernon – y avaient été reçus en 1582, comme
Henri de Guise en 1579.
— Trois personnes seulement, monsieur, dont
le gouverneur de Metz.
Finalement, dans tout ce que racontait Diaceto,
O ne voyait rien de bien neuf. Guise poussait ses pions, et le cardinal de
Bourbon en était un. Il tentait sans doute d’obtenir une alliance avec les
bourgeois parisiens pour compléter celle qu’il avait désormais avec l’Espagne. Mais
alors pourquoi l’avait-on fait venir ?
Il espérait qu’il aurait vite la réponse.
Le souper terminé, le marquis resta seul un
moment dans la cage d’escalier ajouré, l’esprit vagabondant, regardant sans les
voir les flammes des torches de résine que da Diaceto avait fait allumer dans
la cour. La neige tombait à nouveau et fondait en touchant le sol couvert de
crottin, ce qui provoquait une épaisse vapeur. Cubsac tirait l’épée avec un
garde de l’hôtel. Dimitri regardait en riant. O songea un instant à un assaut
amical avec le Gascon, pour connaître sa force de bretteur, mais il en repoussa
l’idée. Il était trop impatient pour pouvoir se concentrer dans un combat. Finalement,
il regagna sa chambre, non sans avoir rappelé ses instructions à ses gens.
Avec l’accord de M. da Diaceto, les
portes de l’hôtel resteraient ouvertes toute la nuit. Sitôt qu’un visiteur, sans
doute avec une escorte, se présenterait pour lui, Dimitri le conduirait chez
lui, en évitant qu’on ne le voie.
Il n’avait plus qu’à attendre.
Dans la chambre, le temps passa lentement. O
connaissait suffisamment bien le protocole de la cour pour savoir que la visite
qu’il attendait serait tardive. Le roi, qui menait une vie publique sauf le
matin durant le conseil, ne pouvait s’éloigner de ses courtisans. Le soir, c’était
la cérémonie du souper, puis le monarque devait être présent au concert ou au
bal.
Le marquis d’O s’était installé devant la
cheminée et rêvait devant le feu. Charles, qui dormirait dans une alcôve, sur
un lit de sangles, venait régulièrement remettre du bois dans le foyer et
moucher les bougies des chandeliers. Par instant, il entendait des éclats de
voix dans la rue. Cubsac, Dimitri, et les hommes d’armes de Diaceto discutaient
bruyamment. Viendrait-il ? se demandait O. Et s’il ne venait pas, que
pouvait-il faire ? Il ne savait même pas pourquoi Il avait besoin
de lui !
O en vint à méditer sur cette cour qu’il avait
quittée alors qu’il en était un des plus puissants favoris. Il en connaissait
toutes les subtilités, et tous les dangers. Il avait été le confident du roi, son
conseiller, surtout en matière de finance. Il en avait d’ailleurs gagné le
titre infamant d’archilarron, par allusion aux archimignons Joyeuse et Épernon.
Avant sa disgrâce, c’est lui qui gérait les comptants, ces sommes que le roi n’avait
pas à justifier devant la cour des Aides. S’il était resté, il serait
maintenant chevalier du Saint-Esprit. Il aurait même pu devenir le premier des
ministres, décider de la politique du royaume, transformer et apaiser le pays. Il
aurait pu réussir. Il avait le talent nécessaire, contrairement à Anne de
Joyeuse et à Jean-Louis de Nogaret qui disposaient maintenant de tout le
pouvoir.
Il songea
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