Les Rapines Du Duc De Guise
d’orfèvrerie, un buffet, une crédence et une grande armoire. En
face, près des fenêtres, étaient alignées plusieurs chaises raides à hauts
dossiers.
M. Marteau affichait son opulence. Il
était fortuné, et il voulait que ses visiteurs et son personnel le sachent. Il
faisait sûrement partie de ces bourgeois qui, les jours de fêtes, exposaient
leur dressoir chargé des richesses de la famille devant la porte de leur maison.
Le contrôleur général des tailles était assis
devant une belle table de travail sur laquelle s’entassaient des dossiers et
des sacs de pièces. À son extrémité, un clerc à bésicles recopiait un document.
Marteau fit asseoir ses visiteurs sur des escabelles à trois pieds, en s’excusant
du désordre. Il parlait lentement, comme ensommeillé, articulant le début de
ses phrases tout en avalant ses derniers mots, ce qui en rendait le sens
difficilement intelligible.
La fuite de Benoît Milon, le premier intendant
des finances, avait désorganisé le service, leur expliqua-t-il. La mort de M. Hauteville,
qu’il avait apprise la veille, n’allait rien arranger et il se proposait
justement d’envoyer un de ses secrétaires chez lui pour reprendre les dossiers
et les registres qu’il lui avait confiés…
— Les gens qui ont occis mon père ont
aussi emporté une grande partie des pièces comptables sur lesquelles il
travaillait, ce qui me laisse penser que sa mort est liée au contrôle des
tailles de l’élection. Il venait justement de terminer un mémoire pour M. Séguier.
Vous l’avait-il remis ? Si c’est le cas, puis-je le consulter ? Il
est possible qu’il contienne des noms me permettant d’identifier les coupables,
suggéra Olivier.
— Non, je n’ai rien reçu, et c’est bien
fâcheux, répondit M. Marteau, car ce travail de vérification est attendu
avec impatience par M. de Bellièvre qui m’en a encore parlé, il y a
quelques jours…
Il se tut un instant, abaissant ses lourdes
paupières avant de poursuivre à mi-voix :
— Mais croyez-vous réellement qu’on ait
tué votre père parce qu’il aurait découvert qui rapinait les tailles ? Cela
me paraît invraisemblable, comment ces fraudeurs auraient-ils eu connaissance
de son travail… et surtout de son avancement ?
Tout en parlant, il grattait son épaisse barbe
qui retombait sur sa petite fraise. Claude Marteau avait la quarantaine
dépassée, un physique de gros mangeur et un air perpétuellement ensommeillé, avec
ses paupières à demi closes. Son père était marchand changeur et il avait
toujours vécu dans le milieu de la finance. Bien sûr, on pouvait tuer pour des
quittances ou des bordereaux, mais il était très difficile d’entrer chez les
financiers qui se protégeaient par de solides portes, des grilles, des valets
et des gardes armés.
— Votre père ouvrait-il facilement sa
porte ? demanda-t-il après un nouveau silence.
— Non, monsieur. Nous avons peu de
domestiques et notre seule entrée est protégée par une herse. Si mon père a
ouvert, c’est qu’il connaissait son visiteur…
— Sans doute… Et si les assassins avaient
tout simplement des complices dans la maison ?
Olivier n’y avait pas pensé. Se pouvait-il que
Gilles ait été soudoyé ? Dans ce cas, il aurait payé cher sa trahison.
— J’enquêterai dans cette direction, monsieur,
proposa-t-il.
— Essayez surtout de savoir à qui il a
parlé des vérifications qu’il faisait. Sans doute s’est-il confié à quelqu’un
du Palais, au tribunal de l’élection…
Il se leva pour faire comprendre que l’entretien
était terminé.
— Vous rassemblerez tous les papiers de
votre père et vous me les ferez porter, dit-il encore, d’une voix brusquement
plus énergique. Je vais demander à un de mes commis de reprendre ce contrôle. Peut-être
aurons-nous la chance de confondre ainsi les assassins de votre père.
9.
Jeudi 17 janvier 1585
Même blanchie par la
neige, la ville paraissait toujours aussi sale. Par une rue transversale, le
marquis d’O aperçut les tours rondes et les sinistres murailles du Louvre. La
sombre forteresse aux mâchicoulis enneigés paraissait glaciale et inhospitalière.
En suivant un lacis de ruelles grouillantes enfumées par les cheminées qui
tiraient mal et les braseros dans les échoppes, ils gagnèrent la rue
Vieille-du-Temple jusqu’à l’auberge de l’Homme Armé.
O ne souhaitait pas que l’on sache qu’il était
de retour à
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