Les Rapines Du Duc De Guise
des
réunions secrètes avec des bourgeois renégats qui veulent reconstituer une
ligue, comme celle qui existait, il y a quelques années. Il en serait même le
trésorier. J’ai appris cela récemment. Je peux connaître le jour et l’heure de
leur prochaine assemblée et vous n’auriez qu’à l’attendre devant chez lui, quand
il rentrera.
— Il habite rue des Arcis, à l’enseigne
de Saint-Sébastien, intervint Pomponne de Bellièvre, qui connaissait
tous les financiers de la capitale. Un bel hôtel avec cour et écurie, fort pratique
pour ses affaires… Mais, monsieur de Richelieu, fit Bellièvre en se tournant
vers le Grand prévôt, qui sont ces gens qui complotent ainsi ? Vous ne
nous en aviez jamais parlé ?
— Ce sont des gens de peu, répondit
Richelieu avec férocité. Mais rassurez-vous, je les tiens tous dans ma main et,
quand je le voudrai, je les ferai pendre.
Le roi hocha du chef d’un air las, comme si le
sujet était de peu d’importance.
— Et pour mon indigence, O, que peux-tu
faire ? demanda-t-il d’un ton haut perché, faussement geignard qui fit à
nouveau sourire tout le monde.
Il joignit ensuite l’extrémité de ses doigts
et souffla dans ses paumes avant de jeter un regard vif au marquis.
— Vois-tu, O, je n’ai pas ta science, ni
celle de Bellièvre, mais j’ai un peu de cervelle. Il m’est venu l’idée que les
pécunes qui me manquent passent de mes poches dans celles de Guise. Villequier
a raison, le roi d’Espagne ne lâche pas si facilement ses pistoles. En vérité, je
crois que Guise me rapine…
— Qu’en est-il exactement, monsieur de
Bellièvre ? demanda le marquis en s’adressant au surintendant.
Il savait pertinemment que le roi était
incapable de compter, et que cette indigence, dont il parlait, n’était sans
doute que le fruit de sa prodigalité envers Épernon et Joyeuse. Si Guise avait
de l’or, celui-ci venait forcément d’Espagne, comment le Lorrain aurait-il pu
voler le roi dont l’argent était enfermé chez des banquiers ou au trésorier de
l’Épargne ?
Pomponne de Bellièvre était un vieux camarade
du marquis d’O, qui l’estimait. Le surintendant des finances l’avait accompagné
en Pologne, avec Villequier et Richelieu. Ce voyage avait forgé un solide
compagnonnage entre ces hommes, pourtant si différents. À son retour en France,
Henri avait nommé Bellièvre surintendant des finances pour son honnêteté, sa
bonne connaissance des milieux financiers et surtout sa loyauté.
— Sa Majesté a raison, répliqua Bellièvre,
au grand étonnement du marquis. Depuis quatre ans, tous les impôts, que ce
soient les tailles, les aides ou la gabelle, rapportent de moins en moins. L’année
dernière, nous avons même dû entériner une baisse de la taille de deux cent
cinquante mille livres [41] .
O savait que les rentrées fiscales baissaient
même en Normandie, une province qui donnait le quart des impôts du royaume, et que
des soulèvements contre les receveurs étaient de plus en plus fréquents dans
les villages.
— Les tailles sont les plus touchées, notamment
dans l’élection de Paris. Il est fort difficile de comparer les années les unes
aux autres, puisque les comptes ne sont jamais arrêtés à la même date et que
bien des opérations se chevauchent, mais j’ai pu estimer les pertes : cent
mille livres en 1581, deux cent cinquante mille l’année suivante, quatre cent mille
sans doute en 1583 et peut-être six cent mille en 1584. Face à cette disette d’argent,
nous avons réduit toutes les dépenses, et donc celles de l’armée, des Suisses, de
l’artillerie et de la marine.
— Un total de près d’un million et demi
de livres ? s’étonna O qui calculait vite. Comment serait-ce possible ?
Un détournement ? C’est impossible ! Les vérifications des
contrôleurs de l’élection et du bureau des finances sont minutieuses et
tatillonnes…
— C’est sans doute ma faute, grimaça
Bellièvre. J’ai dû passer trop de temps à m’occuper de la diplomatie du royaume,
je suis allé en Flandre… j’ai dû aussi négocier avec les huguenots. Pendant ce
temps, j’ai laissé faire mes intendants et sans doute n’ont-ils pas été assez
vigilants. Vous savez qu’ils sont quatre, dont deux contrôleurs des finances
chargés de vérifier les pièces comptables de recettes des receveurs des tailles
et des dépenses du trésorier de l’Épargne. Apparemment, ils n’ont rien
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