Les refuges de pierre
se demanda si elle ne
s’était pas assoupie. Il avait envie de recommencer, en prenant tout son temps,
cette fois, mais si elle dormait...
— Je me demande comment il va, dit-elle soudain. Mon fils.
— Il te manque ?
— Il me manque tellement quelquefois que je ne sais pas
quoi faire. A la réunion de la Zelandonia, la Première a chanté le Chant de
la Mère . J’aime cette histoire. Chaque fois que je l’entends, j’ai les
larmes aux yeux quand on arrive à la partie où la Mère est séparée de Son
enfant. Je crois savoir ce qu’Elle a enduré. Même si je dois ne plus jamais
revoir Durc, je voudrais savoir comment il va. Comment Broud et les autres le
traitent.
Ayla redevint silencieuse.
— On dit dans le chant que la Mère a souffert pour
enfanter. Est-ce très douloureux ?
— L’accouchement de Durc a été difficile. Je n’aime pas
trop y penser. Mais, comme le dit le Chant de la Mère , il en valait la
peine.
— As-tu peur ? Peur d’enfanter de nouveau ?
— Un peu. Mais je me sens bien, cette fois. L’accouchement
ne se passera peut-être pas aussi mal.
— Je ne sais pas comment font les femmes.
— Nous le faisons parce que cela en vaut la peine. Je
voulais tellement Durc ! Et puis ils m’ont dit qu’il était difforme, que
je ne pouvais pas le garder...
Elle se mit à pleurer, il la prit dans ses bras.
— C’était horrible, poursuivit-elle. Je ne pouvais pas
accepter de le perdre. Au moins, chez les Zelandonii, la mère a le choix.
Personne n’essaiera de m’imposer une décision.
Ils entendirent des loups hurler au loin, un autre leur
répondre, plus près de la tente. Ce hurlement-là leur était familier :
Loup se trouvait à proximité.
— Je me demande s’il me quittera, lui aussi, fit Ayla à
voix basse, enfouissant son visage au creux de l’épaule de Jondalar.
Il la serra contre lui pour la consoler. C’est une dure épreuve
d’être honorée par Doni, songea-t-il. Une grande faveur, et cependant... Il
tenta d’imaginer ce qu’il éprouverait s’il sentait la vie croître en lui, n’y
parvint pas. Les hommes n’enfantent pas, se dit-il. Pourquoi Doni les a-t-elle
faits, d’ailleurs ? Sans hommes, les femmes se débrouilleraient fort bien.
Elles ne sont pas toutes enceintes en même temps, certaines pourraient aller
chasser ou aider les autres quand leur ventre est trop gros ou leurs enfants
trop petits. Les femmes s’entraident toujours quand l’une d’elles accouche.
Elles pourraient même survivre sans chasser ; la cueillette est facile, y
compris pour une femme qui a des enfants en bas âge.
Jondalar s’était déjà interrogé à ce sujet et se demandait si d’autres
hommes se posaient la question. En tout cas, ils n’en parlaient pas. Doni
devait bien avoir eu une raison pour créer deux êtres différents. Il y avait
toujours une logique dans ce qu’Elle faisait. Le monde était ordonné. Le soleil
se levait chaque matin, la lune passait régulièrement par toutes ses phases,
les saisons se succédaient de la même façon chaque année.
Se pouvait-il qu’Ayla eût raison ? Fallait-il un homme pour
faire naître la vie ? Était-ce pour cette raison qu’il y avait des hommes
et des femmes ? Jondalar se débattait avec ses pensées en tenant sa
compagne dans ses bras. Il voulait qu’il y eût une raison à son existence à
lui, une vraie raison. Pas seulement pour partager les Plaisirs, pas uniquement
pour prodiguer aide et soutien. Il voulait que sa vie se révélât nécessaire. Il
voulait croire qu’il ne naîtrait pas de nouvelle vie sans hommes, que sans
hommes il n’y aurait plus de bébés, que tous les Enfants de la Terre
disparaîtraient.
Il était si abîmé dans ses pensées qu’il n’avait pas remarqué
que les sanglots d’Ayla avaient cessé. Il la regarda et sourit. Endormie, elle
respirait paisiblement. Elle s’était levée tôt, la journée avait été longue. Il
dégagea son bras, le plia et l’étendit plusieurs fois pour rétablir la
circulation, et bâilla. Il tombait de fatigue, lui aussi. Il souffla la mèche
en mousse de la lampe à graisse, chercha à tâtons le corps de la femme endormie
et se blottit contre elle.
Le lendemain matin, quand Jondalar ouvrit les yeux, il lui
fallut un moment pour se souvenir de l’endroit où il se trouvait. Il avait déjà
pris l’habitude de dormir dans la hutte et la tente était bien plus exiguë.
Plus familière aussi. Il y avait dormi avec
Weitere Kostenlose Bücher