Les révoltés de Cordoue
s’effaça aussitôt dès
qu’il sut la raison de sa visite.
— Que lui veux-tu, à Hernando ? cracha-t-il.
Efraín hésita. Pourquoi ce ressentiment ? Parmi les
enclumes, le four allumé, les outils et les barres en fer, le maréchal-ferrant
se dressa devant lui de toute sa hauteur, respirant bruyamment avec son gros
nez.
— Tu le connais ? interrogea le jeune juif avec
fermeté.
Cette fois, ce fut au tour du maréchal-ferrant d’hésiter.
— Oui, avoua-t-il finalement.
— Tu sais où je peux le trouver ?
Jerónimo fit un pas vers lui.
— Pourquoi ?
— C’est mon affaire. Je te demande seulement si tu sais
où je peux trouver cet Hernando. Si c’est le cas, tant mieux ; sinon, je
n’ai pas l’intention de t’ennuyer et je le chercherai ailleurs.
— Je ne sais rien de lui.
— Merci, dit Efraín en prenant congé.
Il était persuadé que l’Arabe lui mentait. Mais
pourquoi ?
Abbas n’avait pas l’intention de donner la moindre
information au sujet d’Hernando, mais peut-être était-il opportun d’en savoir
un peu plus sur les intentions de ce visiteur.
— En revanche, je sais où tu peux trouver sa mère,
rectifia-t-il.
Efraín s’arrêta. « La dame exige que tu remettes cette
lettre en mains propres à Hernando ou à sa mère. Elle s’appelle Aisha. Tu ne
dois la donner à personne d’autre », l’avait prévenu son père.
Que se passait-il dans cette famille ? s’interrogeait
Efraín quand il arriva devant la porte de la maison d’Aisha, dans une ruelle
étroite du quartier de Santiago, à l’autre bout de la ville. Il était évident
que Jerónimo lui avait menti ; ses yeux sombres le trahissaient. Lorsqu’il
demanda après Aisha à des femmes qui allaient et venaient avec des pots et des
fleurs dans le patio de la demeure, celles-ci le regardèrent avec dédain.
Efraín était un jeune homme costaud, sans doute pas autant que le maréchal-ferrant,
mais certainement plus que le Maure qui accourut à l’appel des femmes. Et il
était fatigué. Il avait marché pendant des jours entiers depuis le port de
Séville, où il avait accosté sur un bateau portugais qui avait levé l’ancre à
Ceuta, et il avait passé la journée d’un endroit à un autre à chercher cet
Hernando Ruiz ou sa mère, conscient que la moindre altercation pouvait
entraîner sa détention et révéler sa condition de juif ou sa fausse cédule de
vendeur d’huiles.
— Que lui veux-tu à Aisha ? l’interrogea le Maure
avec mépris.
C’était plus qu’assez ! Efraín, oubliant toute
prudence, fronça les sourcils et avança la main vers la poignée de la dague
qu’il portait à sa ceinture. Le Maure ne put empêcher son regard de suivre le
mouvement de la main du jeune juif.
— Cela ne te regarde pas, répondit-il. Elle vit ici ou
non ?
Le Maure tituba.
— Vit-elle ici, oui ou non ? explosa Efraín,
faisant mine de dégainer sa dague.
Elle vivait et dormait ici même, juste derrière l’endroit où
se tenait Efraín, dans le vestibule d’entrée. Le jeune juif jeta un coup d’œil
à la couverture froissée que lui désigna le Maure d’un mouvement du menton.
Cependant, à cette heure, elle n’était pas encore rentrée de l’atelier du
tisserand chez qui elle travaillait.
Efraín attendit dans l’impasse qui conduisait à la maison.
Un moment plus tard, il devina que la femme qui se dirigeait vers lui,
lentement, courbée, le regard rivé au sol, avec de grands morceaux de tissu qui
pendaient de ses épaules, était la personne qu’il recherchait.
— Aisha ? demanda-t-il quand elle passa à côté de
lui.
Elle acquiesça, laissant voir des yeux tristes, enfoncés
dans des orbites violacées.
— La paix soit avec toi, la salua Efraín.
Cette politesse parut la surprendre. On aurait dit un animal
sans défense et blessé. Qu’arrivait-il à tous ces gens ?
— Je m’appelle Efraín et j’arrive de Tétouan…,
murmura-t-il en s’approchant d’elle.
Aisha réagit avec une énergie insoupçonnée.
— Silence ! lui ordonna-t-elle en faisant un geste
vers la maison.
Efraín se retourna. Dans le vestibule, plusieurs visages
étaient attentifs à leur conversation. Sans dire un mot, Aisha prit la
direction du fleuve. Efraín la suivit, s’efforçant d’accorder son pas à celui,
si lent, de la femme.
— Je viens…, reprit-il une fois qu’ils furent assez
loin de la demeure, mais Aisha lui fit à nouveau signe de se taire.
Ils
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